Psychostimulants : quand les étudiants se droguent

Concerta®, Ritaline®, Quasym®, ces « smart drugs », initialement destinés aux enfants hyperactifs ont envahi les bibliothèques universitaires américaines et leur usage détourné se démocratise en France. Censés permettre une plus grande concentration et productivité, ces médicaments contiennent des molécules aux propriétés pharmaceutiques proches de l’amphétamine.

Alexandre* est étudiant en finance. L’année prochaine, il fera sa rentrée dans une des 3 premières écoles de commerce françaises. Alexandre a toujours été très bon élève, parmi les meilleurs de sa promo. Pourtant, malgré ses capacités, il a déjà pris des psychostimulants en période d’examen, pour augmenter ses performances. « J’avais 2 jours pour revoir tout le programme, c’était impossible. Des amis prenaient du Concerta® et me l’ont conseillé. Je m’en suis procuré par une amie qui avait une prescription. »

« Je pouvais rester concentré 5 à 6 heures sans aucune pause. »

Alexandre, utilisateur occasionnel de méthylphénidate

Pour une dizaine d’euros, Alexandre achète du méthylphénidate, qui lui permettra de revoir l’ensemble de ses cours de l’année en quelques heures : « Je pouvais rester concentré 5 à 6 heures sans aucune pause. C’était comme si mes yeux allaient plus vites pour lire, je retenais tout. » Sa consommation restera occasionnelle lors des périodes d’examens. Daprès lui pas d’addiction, même sil concède qu’il en reprendra, si besoin…

Une tendance américaine …

Une pilule « miracle » donc pour les étudiants en manque de temps ou de confiance. Pourtant, ces psychostimulants sont à lorigine destinés aux enfants atteints de trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Son usage est donc strictement réglementé. En France, le méthylphénidate ne peut être prescrit que par un médecin hospitalier  spécialisé en neurologie, psychiatrie ou pédiatrie pour la première prescription.

 

LE MÉTHYLPHÉNIDATE, QU’EST CE QUE C’EST ?

Le méthylphénidate est un psychostimulant de la famille des phénylpipéridines. Cette molécule est utilisé pour traiter les troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité (TDAH) chez l’enfant. Il possède des propriétés pharmacologiques proches de celles de l’amphétamine, dont il partage certaines indications.

 

Outre-Atlantique, la consommation détournée de médicaments psychostimulants est un véritable enjeu de santé publique. Dans la série Desperate Housewives, Lynette Scavo, dépassé par ses enfants turbulents, avalent les comprimés de Ritaline® de son fils pour faire le ménage. Une anecdote qui montre la banalisation de ce type d’usage détourné dans la société américaine. D’après les recherches de Panayotis Thanos, qui pilote l’Institut de Recherche sur les Addictions au sein l’Université de Buffalo, entre 14% et 38% des collégiens et étudiants américains avaient recours au méthylphénidate afin d’améliorer leur concentration et d’être plus performants dans leurs études.

… qui touche pourtant l’Hexagone

809 225 boîtes de médicaments contenant du méthylphénidate ont été vendues en 2017. 24% de plus qu’en 2014.

Malgré les obstacles de prescription en France, la consommation de méthylphénidate augmente. Selon l’état des lieux publié par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), 809 225 boîtes de médicaments contenant du méthylphénidate ont été vendues en 2017. Une augmentation de 24% depuis le rapport précédent, daté de 2014. Les chiffres de l’Assurance Maladie rejoignent ceux de l’ANSM et affirment qu’entre 2012 et 2017, le nombre de prescriptions est passé de 503 956 à 813 413. Elles étaient de 26 000 en 1996 lors de l’introduction du principal médicament contenant du méthylphénidate : Ritaline®.

Une réglementation qui n’empêche pas l’accès au médicament

S’il est difficile de se faire prescrire du méthylphénidate, de nombreux sites Internet proposent de s’en faire livrer directement chez vous et les bons plans s’échangent sur les forums… avec les risques que cela présente. Beaucoup s’en procure également par un ami, qui dispose d’une prescription.

Marie*, a été diagnostiquée hypersomniaque et a pris de la Ritaline® pendant 6 mois. Lorsqu’elle a arrêté, les plaquettes inutilisées ont vite attiré l’attention de certains de ses amis : « Mes amis m’ont demandé si je pouvais leur donner un cachet ou deux, juste comme ça, parce qu’ils étaient en période d’examen par exemple. » Elle a toujours refusé d’en donner.

Pourtant, tous les (ex-)patients ne sont pas aussi consciencieux. De véritables réseaux se construisent au détour des allées des bibliothèques. « Tout le monde savait exactement à qui s’adresser. Le bouche-à-oreille avait créé une sorte de mini-trafic. » atteste Alexandre. C’est dans les filières les plus compétitives, et à l’approche des examens que la consommation de méthylphénidate augmente. Selon une étude de l’Inserm, 6,7% étudiants et jeunes diplômés en médecine avaient recours à des psychostimulants de ce type lors de leurs études.

Une consommation à risques

« J’étais au volant et j’ai vraiment eu l’impression d’être dans Mario Kart« 

Marie, ancienne patiente sous méthylphénidate.

Pourtant, les effets secondaires de cette substance sont nombreux. La brochure délivrée par L’ANSM à destination des parents d’enfants atteints de TDAH fait d’ailleurs froid dans le dos : troubles neuropsychiatriques, cardio et cérébraux-vasculaire, pouvant aller jusqu’à l’AVC, voire la mort. Selon une étude de l’Université de Copenhague, le méthylphénidate peut aussi provoquer des hallucinations et d’autres symptômes psychotiques chez l’enfant ou l’adolescent.

Marie a arrêté la Ritaline® à cause de ces effets. D’abord il y a eu le changement de personnalité : « Je ne me reconnaissais pas. Moi qui suis très sociable, je n’avais plus envie de rien, j’étais éteinte ». Avec le recul elle évoque une sorte de « déprime ». Puis il y a eu la perte de poids : « Moi qui suis une grande gourmande, j’avais perdu tout intérêt pour la nourriture. Je suis tombée à 48kg car je ne mangeais tout simplement plus. ». Alertée, ses proches s’inquiètent et lui font la remarque.

Quelques mois plus tard, Marie réalise que les effets secondaires sont nombreux : « J’avais l’impression que mon cerveau n’allait plus avec mon corps. Un jour au travail, je n’arrivais pas à lire un mail, les mots dansaient dans ma tête. ». Un état proche d’un stade hallucinatoire, dû, selon elle à sa prise de Ritaline®. « Je perdais aussi la notion du temps et cela me posait problème dans mon travail. ». Enfin, Marie a dû arrêter de conduire pendant un temps après une grosse frayeur : « J’étais au volant et j’ai vraiment eu l’impression d’être dans Mario Kart, j’étais complètement déconnectée. Ça m’a fait très peur. »

Le risque de l’addiction

Marie en est persuadée, la Ritaline® l’a rendue, à un moment, accro : « Je me rappelle d’un soir où j’étais à un dîner. Je ne devais pas dormir chez moi mais je n’avais pas mes cachets pour le lendemain. J’ai piqué une crise à lidée de ne pas avoir mes médicaments. ». Les effets du méthylphénidate sont rapides et Marie le concède « Au début j’ai trouvé les effets supers, mais très vite il faut augmenter les doses. » Résultat: en 6 mois, Marie multiplie par 4 la dose initialement prescrite par son médecin. Un phénomène qui n’est pas rare car le méthylphénidate engendre une accoutumance qui amoindrit peu à peu ses effets. De plus, le méthylphénidate, par sa structure proche de l’amphétamine, peut provoquer une dépendance, notamment psychique.

« Nous surveillons cette substance depuis les années 2000. » affirme Samira Djezzar, médecin practicien hospitalier et directrice du CEIP-Addictovigilance de Paris-Ile de France. D’après les conclusions du CEIP, le méthylphénidate est principalement détourné par des personnes déjà consommatrices de substances amphétaminiques, à cause de ces propriétés pharmaceutiques « Il y a aussi quelques cas d’usage détourné par les étudiants. » Les études sur l’usage détourné du méthylphénidate demeurent encore rares. Le CEIP s’est penché sur la question afin de dresser un nouvel état des lieux. Les résultats de l’enquête sont attendus pour la fin de l’année.

Marion RUSSELL

*Le prénom a été modifié