Les Britanniques de Bruxelles en plein doute

Ils sont près de 2 000 et ne savent pas ce qu’ils deviendront après le 29 mars 2019. Les fonctionnaires européens britanniques ne sont pas encore fixés sur leur sort après le Brexit. Pourront-ils conserver leur emploi ? Rien n’est acté. La solution pour certains, demander la nationalité belge. Une démarche bien souvent délicate.
« Ce Brexit devient une véritable catastrophe pour moi. Je ne sais toujours pas quels seront mon avenir et ma carrière… » Elisabeth*, dix-huit ans de service à la Commission européenne, est amère. Il y a quelques mois, elle a vu sa demande de naturalisation belge refusée. Bien que les annonces à répétition du président de la Commission Jean-Claude Juncker, se soient montrées rassurantes, le sort des quelque 2 000 fonctionnaires britanniques de l’Union européenne n’est toujours pas fixé, plus d’un an après le référendum du 23 juin 2016.
Dans un peu plus d’un an, les anglais ne seront plus citoyens européens. Et les fonctionnaires se retrouveront face à une situation complexe. Selon l’article 28 du règlement sur le statut des fonctionnaires de l’UE, « nul ne peut être nommé fonctionnaire s’il n’est ressortissant d’un des Etats membres de l’Union, sauf dérogation accordée par l’autorité investie du pouvoir de nomination ». Une exception qui permet encore à sept fonctionnaires norvégiens – recrutés lors de la tentative d’adhésion de leur pays à l’UE en 1994 – de travailler pour les instances européennes. Problème, le 29 mars 2019, le Royaume-Uni quittera officiellement l’Union. « En principe, légalement, on peut vous demander de démissionner si vous n’êtes plus citoyen européen et si vous ne faites plus partie d’un des pays membres », indique John*, l’un des 926 fonctionnaires britanniques de la Commission. Toutefois, l’Union européenne n’a pas encore pris position sur cette question.
Face à cette incertitude, ils sont nombreux à demander une autre nationalité européenne, en particulier la belge. Comme John*: « Ça fait sept ans que je travaille pour les institutions, ma vie est ici, ma famille aussi, donc évidemment, je veux rester. Bruxelles est devenu mon chez-moi. » Il y a une semaine, il a effectué une demande de naturalisation. Et connaîtra la réponse dans quatre mois…
Un imbroglio juridique
Mais les fonctionnaires britanniques rencontrent plusieurs obstacles dans leur demande de naturalisation. Depuis le 1er janvier 2013, parmi les cinq conditions d’acquisition de la nationalité belge, certaines posent problème : les cinq ans de séjour légal, la preuve d’intégration sociale et celle preuve de participation économique. Premier écueil : une majorité des fonctionnaires européens disposent d’une carte d’identité spéciale, qui ne fait pas office de titre de résident dans le cadre de la procédure de naturalisation.

Exemple de carte d’identité spéciale détenue par les fonctionnaires européens britanniques
Autre point de blocage, les fonctionnaires sont soumis à un régime fiscal et social spécifique, et sont taxés directement par les instances de l’UE. Ils ne cotisent donc pas directement à la sécurité sociale belge, ce qui les empêche de justifier d’une participation économique. Ces deux critères entraînent le refus de prise en compte des dossiers, avant même leur examen par le Parquet fédéral.
Des politiques différentes selon le territoire
En Belgique, ce sont les communes qui enregistrent les demandes de naturalisation avant de les transmettre au Procureur du Roi. Amélie Bovy, conseillère légale au Commissariat à l’Europe et aux organisations internationales, estime que les communes sont parfois très strictes. « Elles sont supposées juger le dossier sur la forme et pas sur le fond, mais certaines estiment que les deux sont indissociables.» Avec un dossier équivalent, certains verront leur demande transmise au parquet, quand elle sera directement rejetée pour d’autres.
A Ixelles, commune bruxelloise accueillant le plus de ressortissants britanniques, Delphine Bourgeois, adjointe au maire chargée des affaires européennes depuis douze ans, regrette ce manque d’uniformité. « Je suis en faveur d’une harmonisation entre les 19 communes bruxelloises. Ce n’est pas normal qu’il y ait des attitudes politiques différentes sur cette question. Ce n’est pas cohérent. »
Certains fonctionnaires belges chargés de recueillir les dossiers de naturalisation ont encore des préjugés à l’encontre des membres des institutions européennes. « Les fonctionnaires de l’Union européenne souffrent encore d’une image négative, avec l’idée qu’ils ne payent pas d’impôt et gagnent des salaires exorbitants », regrette Amélie Bovy, qui estime que certains employés ne sont pas coopératifs.
La position ambivalente de la Commission
Pourtant, devenir citoyen belge ne leur assure pas de garder leur emploi au sein des institutions. Officiellement, il n’existe pas de quotas de nationalité pour les fonctionnaires européens. Dans les faits, les institutions doivent cependant s’assurer d’une répartition équitable entre les pays membres. Si de nombreux fonctionnaires britanniques obtiennent la nationalité belge, le pays sera surreprésenté. Les Belges constituent déjà 17,1% des effectifs de la Commission européenne quand ils représentent 2% de la population totale de l’Union.
Le 29 janvier prochain, une réunion se tiendra avec le commissaire européen au Budget et aux Ressources humaines, Günther Oettinger, pour tenter de trouver des solutions et clarifier la situation des fonctionnaires britanniques. Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a maintes fois répété qu’il fera « tout pour qu’ils puissent continuer à travailler à la Commission. » Une attitude toujours d’actualité selon un porte-parole. Catherine Stihler, eurodéputée britannique travailliste, se montre plus mesurée : « Le bruit court que certains pourraient rester fonctionnaires, mais ils n’auraient plus de perspectives d’évolution. »
Elisabeth* est plus catégorique : « La Commission ne serait pas mécontente que l’on s’en aille. 2 000 salaires en moins, ça fait des économies. »
Etienne Meyer-Vacherand, Kevin Denzler, Thibault Franceschet
*Les prénoms ont été modifiés
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