Eurodéputés britanniques : que faire de leurs sièges ?

Le Royaume-Uni quittera l’Union européenne avec ses 73 eurodéputés en mars 2019. L’occasion de réorganiser le Parlement européen, dont la répartition des sièges n’est pas égalitaire pour certains Etats membres.

Un député européen pour 900 000 habitants en France, contre un député européen pour 72 000 habitants à Malte : l’écart est conséquent entre ces deux Etats, pourtant tous les deux membres de l’Union européenne. L’U.E. avait choisi cette représentation pour la législature 2014-2019, à la suite des dernières adhésions (Roumanie, Bulgarie et Croatie).

Les pays les plus peuplés sont les plus lésés par ce système de représentation, fondé sur le « principe de proportionnalité dégressive ». Il associe deux méthodes de répartition : la proportionnalité – plus un État est peuplé et plus il a de députés – et la dégressivité – plus un État est peuplé, plus ses députés représentent un nombre d’habitants important. Le traité de l’Union européenne fixe en parallèle à 6 le seuil minimal de députés et à 96 le nombre maximal. Avec ce système, les petits Etats sont relativement surreprésentés. Il est « injuste » selon l’eurodéputé portugais Pedro Silva Pereira, co-auteur d’une proposition de recomposition du Parlement.

« Le Brexit rend les choses plus faciles »

Le départ des députés britanniques représente ainsi une aubaine pour le parlementaire : « Cela fait plusieurs années que nous réfléchissons à une répartition plus équitable des sièges parlementaires. Le Brexit rend les choses plus faciles. » Les 73 députés britanniques vont libérer autant de sièges dans l’hémicycle européen dès mars 2019. Leur départ ouvre la voie à une nouvelle distribution des sièges aux 27 Etats membres lors des prochaines élections européennes de mai 2019. « Il va être possible de reconfigurer le Parlement sans qu’aucun Etat membre ne perde d’eurodéputé », explique M. Pereira.

Le rapport qu’il a rédigé avec la Polonaise Danuta Maria Hübner vient d’être débattu en séance plénière à Strasbourg. Le 23 janvier dernier, la commission des affaires constitutionnelles en a approuvé une version amendée. Le Parlement passerait de 751 à 705 sièges. Le texte prévoit également la répartition de 27 des 73 sièges britanniques entre différents Etats membres. Les pays les moins bien représentés, la France et l’Espagne, se verront attribuer 5 sièges chacun. Un député français représentera ainsi 854 000 habitants – contre 900 000 aujourd’hui. 

Les listes transnationales : un pas vers le fédéralisme ?

Autre piste pour la redistribution des sièges : le groupe des socialistes et démocrates (S&D) propose de créer des listes transnationales. Les trois ministres chargés des Affaires européennes de la France, de l’Italie et de l’Espagne ont ainsi publié une tribune dans Le Monde en novembre dernier. Leur proposition : que chaque électeur mette « un bulletin de vote supplémentaire dans l’urne le jour venu, pour choisir entre des listes européennes, paritaires, regroupant des candidats d’au moins sept nationalités différentes ». Par exemple, un électeur pourra voter pour la liste nationale du Parti socialiste, mais aussi pour la liste transnationale du groupe socialiste européen. Les 46 sièges britanniques, jusqu’ici supprimés, pourraient en fait être mis de côté pour une éventuelle circonscription européenne ou un élargissement de l’U.E. 

Ces listes permettraient de dépasser une vision de la politique reposant uniquement sur les partis nationaux. En septembre dernier, le président Emmanuel Macron a publiquement soutenu cette proposition. Une source française à Bruxelles indique d’ailleurs que le projet fait partie des principaux dossiers du moment. 

Si la commission des Affaires constitutionnelles a approuvé cette mesure le 23 janvier dernier, sa mise en place est compliquée : chaque pays devrait adapter sa propre loi électorale et, pour cela, certains devraient modifier leur constitution. Les petits pays craignent de ne pas y trouver leur compte. La Hongrie ou la Pologne y sont réticents : ces Etats craignent que leurs candidats soient évincés au profit des candidats allemands ou français, plus connus. Plusieurs groupes politiques ont également manifesté leur hostilité, de la gauche eurosceptique à la droite souverainiste, voyant dans ces listes transnationales un pas de plus vers le fédéralisme. Le vote en plénière à Strasbourg sur la recomposition du Parlement est prévu pour le 7 février prochain. [vc_separator style= »shadow » border_width= »3″]

3 questions à Pedro Silva Pereira, eurodéputé portuguais co-auteur d’une proposition pour un Parlement européen plus juste

Avec votre collègue polonaise Danuta Maria Hübner, vous proposez de supprimer 46 sièges et d’en réattribuer 27 autres aux Etats membres. Pourquoi ce choix ?

Nous nous sommes fixés trois objectifs. D’abord, aucun Etat-membre ne doit perdre de siège. Ensuite, nous voulons réduire le nombre total de députés. C’est la raison pour laquelle nous ne sommes pas favorables à une réattribution automatique de l’ensemble des sièges britanniques. Enfin, la répartition entre pays doit être plus juste. Il nous a fallu négocier pour arriver à ces chiffres.

Votre proposition a recueilli un franc soutien en commission. Elle doit être votée le 7 février prochain en séance plénière à Strasbourg. Quel soutien recueille-t-elle auprès de vos collègues eurodéputés ?

Nous espérons une large majorité. Le groupe des socialistes et démocrates soutiendra le rapport. Danuta Hübner appartient au groupe PPE (Parti populaire européen) : elle devrait rassembler les suffrages de la droite modérée. Du côté des Etats membres, nous recueillons le soutien de ceux qui bénéficieraient de cette nouvelle composition, comme la France ou l’Espagne. Les pays d’Europe de l’Est nous soutiennent également, avec l’espoir de regagner des sièges qu’ils ont perdus lors des précédentes recompositions du Parlement. 

Emmanuel Macron a relancé récemment l’idée de listes transnationales. Les 46 sièges que vous voulez supprimer pourraient constituer une réserve pour ces listes. Y êtes-vous favorable ?

C’est une proposition du groupe socialiste que je soutiens, mais les listes transnationales ne font pas encore l’unanimité. J’estime que la création d’une circonscription commune à tout le continent peut renforcer la démocratie européenne. Je souhaiterais que la tête de cette liste soit aussi président de la Commission européenne. La légitimité d’un exécutif européen serait ainsi renforcée.

 

Lucie Barbazanges, Louis Belin, Marie Fiachetti, Léa Kebdani

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