Gibraltar va-t-il payer les pots cassés ?
En juin 2016, Gibraltar a voté à 96% pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne. Aucune région britannique n’a autant rejeté le Brexit. La sortie de l’Union européenne aura pourtant bien lieu. Elle pourrait avoir de lourdes répercussions pour Gibraltar, dont les interrogations trouvent pour le moment peu de réponses.
Le territoire britannique, à l’extrême-sud de la péninsule ibérique, est connu pour ses singes dociles et son soleil éclatant. Il abrite également un secteur bancaire et financier prospère, ainsi que de nombreux services de jeux en ligne. La prospérité de l’enclave britannique, et la prédominance de ses services financiers, sont liés à son statut spécial dans l’Union européenne. Gibraltar a le beurre et l’argent du beurre. Elle ne fait pas partie de l’union douanière et n’a pas d’obligation de prélever la TVA. Pourtant, le rocher profite du marché unique européen.
© Inès Pons-Teixeira
Un statut en péril
Cette situation avantageuse pourrait bientôt changer. Michel Barnier, le négociateur en chef de la Commission européenne pour le Brexit, se montre ferme sur la question: « En quittant le marché unique, ils (ndlr: Le Royaume-Uni) perdront le passeport financier.» Si la Commission européenne reste intransigeante, Gibraltar en subira de plein fouet les conséquences, selon Catherine Mathieu, économiste à l’OFCE :« L’accès au marché financier européen est aujourd’hui très facile pour Gibraltar. La perte du passeport financier équivaudrait à la perte de l’accès à ce marché. Cela compliquerait vraiment les activités de Gibraltar. »
Pour l’heure, la question reste en suspens. Les négociations concernant l’accès au marché financier européen se poursuivent entre la Commission et le Royaume-Uni. L’euro-député UKIP Jonathan Bullock en balaie les éventuelles conséquences:« Nous perdrons peut-être l’accès au marché unique, mais nous faisons toujours partie de l’Organisation Mondiale du Commerce, et c’est suffisant ! On commerce déjà de cette façon avec l’Australie, l’Inde et la Chine. »
Le représentant de Gibraltar auprès de l’Union européenne, Graham Watson, est plus nuancé: « Il n’est pas impossible que Gibraltar puisse très bien survivre en dehors de l’UE. L’économie de Gibraltar est déjà internationale. Mais il y aura une phase de transition et personne ne veut voir une dégradation de la situation économique à court terme. »

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L’interdépendance Gibraltar-Espagne
Outre l’avenir des services financiers du Rocher, le dossier gibraltarien soulève d’autres interrogations. Le territoire accueille chaque jour 11 000 travailleurs européens. L’immense majorité de ces personnes vient du Campo de Gibraltar, la région espagnole entourant l’enclave britannique, minée par la pauvreté et un taux de chômage avoisinant les 35%. Cette main d’œuvre bénéficie à Gibraltar comme à l’Espagne. Elle équivaut à plus d’un tiers de la population locale.
Pour garantir l’avenir de ces travailleurs transfrontaliers, l’Espagne et le Royaume-Uni doivent parvenir à un accord sur leur statut, comme c’est le cas en Norvège ou en Suisse. D’après Graham Watson, le représentant de Gibraltar auprès de l’Union européenne, l’Espagne et le Royaume-Uni sont sur la même longueur d’onde : « Sans accord, il y aura de gros problèmes de chômage côté espagnol et un manque de main d’œuvre à Gibraltar. »
A l’inverse, de nombreux Gibraltariens effectuent leurs achats dans le Campo de Gibraltar, où les prix sont bien moins élevés que sur le Rocher. De manière générale, Gibraltar repose essentiellement sur des importations en provenance d’Espagne. Cette situation ne devrait pas évoluer selon l’économiste Catherine Mathieu. Pour autant, Madrid peut toujours agiter le spectre d’un blocus comme moyen de pression sur le Royaume-Uni: « Mais ce serait vraiment une position très dure, ça déclencherait une crise diplomatique. »

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Duel à distance entre Madrid et Londres
En mars 2017, le Conseil européen a été clair : «Aucun accord entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni ne pourra s’appliquer au territoire de Gibraltar sans un accord entre le Royaume d’Espagne et le Royaume-Uni. » Cette décision prend en compte les revendications de l’Espagne sur Gibraltar. La nation ibérique cherche encore aujourd’hui à récupérer cette enclave concédée en 1713 au rival britannique.
Peu après le Brexit, les tensions concernant Gibraltar se sont subitement ravivées. Le ministre espagnol des Affaires étrangères José-Manuel Garcià-Margallo a proposé «une co-souveraineté durant un certain temps, puis une restitution de Gibraltar à l’Espagne », suggérant que le Rocher pourrait ainsi continuer à bénéficier du marché unique européen.
Le territoire pourrait-il revenir dans le giron espagnol, trois cent ans après l’annexion britannique ? La probabilité est extrêmement faible. Les Gibraltariens ont déjà voté pour le maintien dans le Royaume-Uni à deux reprises, lors des référendum de 1967 et 2002. Malgré l’argument de l’accès au marché unique, Gibraltar devrait privilégier son attachement à la couronne britannique.
Ce duel à distance entre Londres et Madrid est avant tout lié à une question symbolique, d’après le professeur de science politique à Science Po Paris, Christian Lequesne :« Le Royaume-Uni et l’Espagne sont dirigés par des partis jouant sur le nationalisme. Les dirigeants roulent des mécaniques pour satisfaire leurs électorats, mais savent pertinemment que le statu quo est la seule solution envisageable pour satisfaire leurs intérêts mutuels. »
En décembre 2017, la Première ministre britannique Theresa May et son homologue espagnol, Mariano Rajoy, se sont rencontrés à Londres pour discuter des négociations autour du Brexit. La situation de Gibraltar n’a pas été abordée.
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