Gilles Dufrénot : « Il faut sortir de la stagnation séculaire »

Gilles Dufrénot, professeur à l’Ecole d’économie de Marseille et chercheur associé au CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales), vient de publier un nouveau livre « Austérité budgétaire : remède ou poison ? La zone euro à l’épreuve de la crise ». Il participait cet après-midi à la conférence « La stagnation séculaire est-elle notre avenir à long terme ? ».

 

La stagnation séculaire est-elle une situation finalement normale dans un monde aux ressources limitées où la croissance ne peut durer éternellement ?

Gilles Dufrénot : Cela dépend de l’échelle à laquelle on se réfère pour juger la situation. Sur le long terme, la stagnation séculaire est en effet un retour à la normale après des décennies qui ont été exceptionnelles. Les deux révolutions industrielles ont notamment amené des taux de croissance beaucoup plus élevés que tous ceux observés précédemment. Il est logique que les gains de productivité finissent par baisser. Néanmoins, à court terme, cette stagnation illustre une situation économique déprimée avec des taux d’investissement qui n’ont jamais été aussi bas.

Est-ce une situation souhaitable ?

G.D. : Absolument pas. Ce n’est pas un modèle économique dans lequel il faut rester parce qu’il y a un risque d’appauvrissement moyen. On crée moins de richesses, donc moins de revenus, et on verse moins de salaire. Cela risque d’accroître les inégalités déjà bien lourdes. On a une masse de personnes qui devraient consommer et ne le font pas, et une petite minorité de personnes qui sur-épargnent un argent qui ne retourne pas dans l’économie. Du coup, le circuit économique est bloqué, et creuse les écarts.

Comment inverser la tendance ?

G.D : Il faut rétablir un climat de confiance et réduire l’incertitude dans l’économie. Selon moi, ce sont les États qui ont la main. Il faut qu’ils jouent leurs rôles de leader. Les économies s’en sortent quand elles ont des « state stratèges », c’est-à-dire des États qui ne prennent pas la place du privé mais qui l’orientent. Devant l’excès d’épargne par exemple, qui n’est plus réinjecté, l’État doit prendre des mesures, que ce soit comme des taxes ou des lois afin d’inverser cette tendance. C’est à lui d’ouvrir la route. Pour le moment, les politiques monétaires n’arrivent pas à baisser les taux d’intérêt ni à élever l’inflation, expliquant que cette persistance de la stagnation séculaire persiste.

Jean-Loup Delmas

LA STAGNATION SECULAIRE

Le terme et le concept ont été définis par l’économiste américain Alvin Hansen, à propos de la grande dépression des années 1930. Il désigne un modèle économique où la croissance stagne, l’investissement ne redémarre pas et la reprise ne parvient pas à s’installer. Ce modèle correspond aujourd’hui à la plupart des pays développés.