Emmanuelle Auriol, passionaria tranquille de la légalisation du cannabis

Emmanuelle Auriol défend avec entrain – et arguments – la légalisation du cannabis contre la  prohibition du gouvernement français. La professeure de la Toulouse School of Economics, médaillée par le CNRS et membre de l’Institut Universitaire de France, intervenait lors de la conférence « L’économie du cannabis », ce mardi 7 novembre aux Jéco.

« Je ne suis pas la fumeuse de chichon qui veut défendre son bifteck, pas du tout ! » avertit Emmanuelle Auriol de son accent toulousain. L’économiste aux yeux bleu malins et à la tignasse brune défend la légalisation du cannabis avec des arguments dont le sérieux désarçonne.

Selon la professeure de la Toulouse School of Economics, la prohibition du cannabis doit cesser. Cette spécialiste des problèmes d’efficacité dans l’économie publique s’attaque au marché illégal de la drogue dans son livre Pour en finir avec les mafias – sexe, drogue et clandestins : et si on légalisait?. L’ouvrage a reçu le Grand prix du livre éco en 2016.

Elle explique que la prohibition politique morale satisfaisait une demande sociale de contrôle du cannabis. « Mais ce n’est pas une logique d’économiste » conteste la pétillante intervenante en agitant les mains devant elle.

Emmanuelle Auriol démontre l’inefficacité et les dangers de la frustration de la demande des fumeurs de chanvre. « Les criminels répondent avec une violence inouïe, provoquant un coût social énorme »  déplore-t-elleSelon elle, la France est la championne de la répression. « Sur 216 000 interpellations en rapport avec le cannabis en 2014, 80% était seulement pour son usage. Vous imaginez le volume de travail pour les policiers? » relève-t-elle.

« En plus d’induire la perversion de la fiscalité mondiale par le blanchiment de l’argent du deal, la prohibition ne résout en rien le problème de santé publique » détaille l’économiste.

Elle propose une légalisation du cannabis avec un monopole de l’Etat pour sa distribution. Une forte hausse des prix désencouragerait sa consommation tout en supprimant les deals illégaux, selon elle. L’économiste imagine rallier légalisation et répression avec de forts contrôles et sanctions pour les utilisateurs et acteurs du marché noir français, aujourd’hui l’un des plus grands d’Europe.

Les Français font partie des plus gros consommateurs de cannabis au monde. A 17 ans, un adolescent sur quatre a consommé du cannabis au cours du mois précédent.

Carte interactive de la consommation de cannabis dans le monde par le Telegraph

« J’ai deux enfants de 13 et 14 ans et ils me disent qu’il y a du shit à leurs soirées. C’est inacceptable » s’étrangle-t-elle.

Changer le monde grâce à l’économie

Dès l’âge de quinze ans, Emmanuelle Auriol tractait dans les rues en voulant agir sur ce qu’elle trouvait révoltant, comme la famine. « Mais j’ai vite réalisé que je n’allais pas changer le monde sans le comprendre » raconte-t-elle de sa voix tonique.

Cette fille de psychiatre et d’infirmière a grandi dans le sud-ouest entourée d’une famille  avec une sensibilité sociale mais aucun lien avec l’économie. Après ses études d’économie à l’université de Toulouse, elle choisit de se diriger vers la recherche et mena une thèse sous la direction de Jean-Jacques Lafont, proche de Jean Tirole, sur la dérèglementation des monopoles. « La recherche me procure plus de liberté et de créativité que la politique. J’ai le temps d’étudier et de faire diffuser mes idées » argumente-t-elle.

En conférence, Emmanuelle Auriol sait se faire écouter. Elle s’affirme par son expertise et son charisme. Son franc-parler et la reconnaissance de ses pairs inspirent du respect et de l’attrait dans l’audience.

Répondant à l’argument d’une escalade des drogues dures, la chercheuse lance : « Les personnes ne sont pas suicidaires. C’est comme si on interdisait le saut à l’élastique parce qu’on avait peur que les gens ne sautent par la fenêtre ! » L’audience éclate de rire.

Les spectateurs sont piqués par l’esprit vif d’Emmanuelle Auriol. L’auteure élargit sa théorie de légalisation  au marché de la prostitution et à l’immigration clandestine. N’ayant pas peur de s’attaquer aux sujets controversés, elle utilise l’économie pour mettre à plat des tabous sociétaux et proposer des solutions politiques concrètes.

Gaëlle Caradec