Pourquoi La Poste marchandise le lien social

Depuis quelques mois, La Poste propose à ses clients de rémunérer les facteurs en échange d’un moment de convivialité, autour d’un café. Une petite discussion qui vaut aujourd’hui de l’or et divise profondément les Français. Le thème « La sphère marchande à la conquête de la sphère non marchande » était au coeur d’une conférence, mercredi matin aux Jéco.

La petite grand-mère est sympathique dans son décor fait de bibelots kitsch en porcelaine, de napperons en dentelle et bien sûr de l’éternelle grille de mots croisés. Sourire aux lèvres, elle fait du café. Tout va bien. Dans son salon un jeune postier lui aussi souriant est attablé. C’est beau, c’est un séquence  publicitaire télé. Une scène qui se répète en réalité tous les jours dans les coins reculés de France où le facteur représente parfois la seule interaction sociale de la journée pour des seniors isolés. Le seul hic de ce tableau idyllique, c’est le prix de la visite, 19 euros par mois, pour un service, autrefois gratuit.

Depuis l’été 2017, La Poste a commencé à faire payer aux usagers qui le souhaitent le temps passé à discuter plutôt qu’à distribuer le courrier. Le service baptisé « Veiller sur mes parents » comprend également l’envoi d’un SMS aux proches résumant la visite et donnant des informations sur son état de santé. Productivité oblige, l’entreprise à dû former ses postiers à abréger les conversations qui peuvent s’éterniser.

«  La Poste ne sait plus quoi faire de ses 251 000 salariés, elle est menacée par l’émergence des nouvelles technologies et essaie de retrouver des gains de productivité« , analyse l’inspectrice générale des Finances, Michèle Debonneuil, également auteure d’un rapport remarqué sur les services à la personne.  Pour l’économiste, cette innovation n’est pas forcement à jeter,  » c’est une mutation très importante, presque révolutionnaire, il est encore trop tôt pour connaître ses effets, elle peut aussi bien favoriser la destruction du lien social que sa protection« , ajoute-t-elle. Cependant l’économiste émet de sérieux doutes sur la rentabilité d’un tel système et serait plutôt favorable à ce  que le service soit proposé par une plateforme disponible partout, sur le modèle des géants de l’Internet que sont Google, Amazon, Facebook et Apple, les GAFA.

Après le secteur tertiaire, le quaternaire

 » Tout le monde rêve d’avoir des domestiques et aujourd’hui le travail sur le lieu de vie le permet, c’est un formidable vivier de croissance« , éclaire Michèle Debonneuil. Alors, sommes nous à l’aube d’une nouveau type de société où chaque activité sera monétisé? L’économiste semble être de cet avis :  » Des gens auparavant improductifs pourront faire de l’argent« .

Avec l’arrivée des GAFA (Google Apple Facebook Amazon), il est de plus en plus facile de mettre en relation biens et personnes. Des coursiers Deliveroo livrent nos dîners, des VTC nous conduisent en soirée et pour les vacances on loue directement un logement à un particulier. «  Le génie des GAFA c’est de s’occuper uniquement du traitement de l’information, sans gérer le matériel ou les personnes. C’est un système avec un coût marginal nul, ils peuvent dupliquer le service à l’infini sans que cela ne leur coûte plus cher« , détaille Michèle Debonneuil., à l’origine de l’expression « secteur quaternaire » pour désigner cette nouvelle économie.

Cependant, un brin alarmiste, elle met en garde : «  si on ne fait rien pour mettre de l’ordre dans ce secteur, c’est sûr qu’on aura le pire« .