
Chauffeurs Uber, livreurs Deliveroo… Ces « nouveaux » travailleurs indépendants sont à la frontière du salariat. Ils sont dépendants économiquement de donneurs d’ordres, mais ne bénéficient pas des protections et droits sociaux attachés aux salariés. La distinction salariat-travail indépendant est donc à repenser, afin de trouver une place à ces indépendants dépendants. Cette problématique a été longuement abordée ce mercredi lors de la conférence sur « Les frontières du salariat ».
28 octobre 2016 : l’entreprise américaine de VTC (voitures de transport avec chauffeur) Uber est condamnée au Royaume-Uni à reconnaître ses chauffeurs comme des salariés, et non plus comme des auto-entrepreneurs. Une décision qui oblige la firme californienne à respecter le salaire minimum ou encore à octroyer à ses chauffeurs un droit à des pauses régulières et à des congés payés.
« L’emploi indépendant a des caractéristiques particulières, explique Gilbert Cette, adjoint au directeur général des études et de relations internationales à la Banque de France. Il ne bénéficie ni des protections sociales attachées au salariat, comme l’assurance chômage, ni des droits sociaux accordés aux salariés, comme celui de contester son licenciement. » Une inégalité qui devient de plus en plus prégnante à mesure que le visage du travail indépendant évolue. Avec l’émergence de plates-formes numériques comme Uber ou Deliveroo, « de nouveaux types de travailleurs indépendants émergent », indique Emmanuelle Prouet, membre du département Travail, emploi et compétences de l’institution publique France Stratégie. Ils développent une activité sans avoir le capital qui leur permettrait de s’assurer contre certains risques. »
Des demandes de requalification en travail salarié
D’où les demandes répétées de certains indépendants – tels que les chauffeurs Uber au Royaume-Uni mais aussi en France – d’être requalifiés en salariés. Mais Gilbert Cette juge « intenable » cette situation. « La requalification d’indépendants en salariés fait entrer dans le salariat des emplois pas forcément adaptés à ce statut, ce qui peut brider l’émergence de ces activités », note l’économiste.
Une autre solution consisterait à créer un statut intermédiaire entre salariat et travail indépendant. Il serait caractérisé par une indépendance dans les faits mais une dépendance économique vis-à-vis d’un ou plusieurs donneurs d’ordre. « Cela ne règle pas le problème des frontières, observe Emmanuelle Prouet. De plus, il est très difficile de définir la dépendance économique. » Preuve que cette solution est complexe à mettre en place, elle a été testée en Italie ces dernières années mais vient d’être supprimée lors de la dernière réforme du code du travail.
Une protection sociale minimale pour tous les actifs
Une dernière possibilité, défendue par Gilbert Cette, serait la création d’un socle minimal de droits sociaux pour tous les actifs, salariés comme indépendants. « Le droit du travail, qui a été établi pour réguler les relations entre salariés et employeurs, n’est plus adapté. Il doit pouvoir protéger tous les travailleurs, sans qu’il y ait forcément de lien de subordination juridique », clame l’économiste, également professeur à l’université Aix-Marseille.
La réforme de l’assurance-chômage préparée par le gouvernement d’Emmanuel Macron se situe dans la droite ligne de la dernière solution. En effet, le président de la République souhaite rendre l’assurance-chômage « universelle », c’est-à-dire l’ouvrir aux indépendants et aux salariés démissionnaires. Une proposition qui pose question pour Emilie Daudey, responsable du département Evaluation et prévision à l’Unedic, l’organisme qui gère l’assurance-chômage : « Les agriculteurs, les avocats ou encore les médecins, qui constituent la majorité des indépendants, veulent-ils une protection contre le chômage ? Et puis sont-ils prêts à cotiser ? »
Julien Da Sois
Le salariat reste la norme
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La part du travail indépendant dans l'emploi total augmente depuis 2013
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