
Longtemps portée en modèle et finalement assez méconnue en Europe, l’économie japonaise connaît depuis 30 ans une stagnation, provoquée par plusieurs crises successives qui ont durablement affecté le pays.
Lorsque dans les années 1960 survient le miracle économique japonais, la croyance populaire attribue volontiers cette faste période de croissance à la présence américaine et à l’implantation précoce de la démocratie. En réalité, le Japon avait entamé sa modernisation depuis très longtemps, à l’image d’une politique de scolarisation et d’éducation, initiée dès les années 1850. Le pays, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, semblait sur de solides rails économiques, inquiétant fortement la plupart des pays occidentaux. Et pourtant, à partir des années 1990, le Japon a commencé à décliner et à subir une stagnation de sa croissance. Une stagnation qui dure depuis 30 ans. Mais est-ce vraiment la réalité?
Des idées fausses
« On ne parle pas beaucoup de l’économie japonaise », déplore Sébastien Lechevalier, directeur d’études à l’EHESS et président de la Fondation France Japon. La culture du pays et sa situation économique sont assez méconnues en Europe. Si bien que la stagnation, longtemps pointée du doigt, n’est pas si évidente que ça. En comparaison avec la France, dont la croissance réelle par habitant de 1990 à 2015 a été de 1%, celle du Japon a été très proche, à 0,9%, contre 1,5% pour les Etats-Unis. Des données qui permettent de relativiser.
Beaucoup reprochent, par ailleurs, au Japon son manque d’innovation, soulignant par exemple l’absence de toute forme de Silicon Valley. Cependant, la péninsule peut se targuer d’innover dans les domaines de la robotique personnelle et de l’automobile. Autre grief : l’absence de réformes qui pourrait expliquer le (relatif) déclin du pays. Sébastien Lechevalier réfute cet argument. Pour lui, le capitalisme a changé de façon significative. « Quand on regarde la diversité des entreprises en terme de performance et de mode d’organisation, il y a une diversité croissante ». Il ajoute que si le Japon n’avance pas, c’est avant tout pour des raisons politiques. « Il n’y a pas eu de personnalités fortes avec des périodes de grandes réformes comme cela a pu être le cas en Europe, avec Margaret Thatcher », souligne-t-il.

Relancer l’économie
« Ce qui est certain, c’est qu’il y a eu un changement de trajectoire dans les années 1980. Mais le Japon n’a pas eu de chance », observe Sébastien Lechevalier. Il a subi de plein fouet l’éclatement de la bulle spéculative en 1989. En 2008, à peine remis, le pays affronte comme tous ses partenaires occidentaux la crise des subprimes. Sans oublier en mars 2011, l’un des pires accidents nucléaires de l’histoire à Fukushima, qui conduit le gouvernement japonais à revoir sa politique sur le nucléaire.
Aujourd’hui, des entreprises japonaises autrefois florissantes connaissent des crises, comme Mitsubishi Motors ou Toshiba. D’autres comme Toyota continuent à innover et se développer malgré la perte de sa place de numéro un au profit de Volkswagen puis de Renault-Nissan. Mais l’investissement ne reprend pas et le marché extérieur peine à être relancé. « En conclusion, oui il faut le reconnaître, le Japon a connu une forme de stagnation. Mais sur le court terme, il ne faut surtout pas donner des coups de massue libérale. Il n’y a d’ailleurs plus grand-chose à libéraliser », constate Sébastien Lechevalier. L’exemple de l’agriculture est d’ailleurs très parlant puisque la réforme a chamboulé le secteur, sans parvenir à conserver les points forts du modèle japonais. Des réformes néolibérales qui auraient été l’une des causes de la crise.
Autre cible des critiques, la courbe des salaires, « plate depuis 20 ans », qui a provoqué la grande déflation. Auparavant, dans les années 1990, les négociations salariales dans les entreprises assuraient une augmentation des salaires. Conséquence directe : la baisse de la consommation. Reste à savoir si le gouvernement est de nouveau prêt à proposer des solutions pour faire repartir la croissance. « Le Premier ministre Shinzo Abe, pourrait le faire, il a d’ailleurs rencontré les chefs d’entreprise pour qu’ils augmentent les salaires. Il faut réinventer un cadre institutionnel », assure Sébastien Lechevalier. Le gouvernement japonais a, par ailleurs, lancé cet été un plan de relance budgétaire et d’assouplissement monétaire. Pas certain que cela soit suffisant pour dynamiser une croissance molle et erratique : 1% en 2016, 1,5% en 2017 et probable rechute à 0,7% en 2018, selon le FMI.
Thibault Marotte