
« La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie », disait André Malraux. Pour les économistes, la phrase diffère un peu : « La vie n’a pas de prix, mais elle a un coût ». Un sujet passionnant à mi-chemin entre la philosophie (un peu) et l’économie (beaucoup). Il était, ce jeudi, au coeur d’une conférence des Jéco.
« Le calcul du coût d’une vie, ce n’est pas chercher la valeur marchande d’une personne, tempère tout de suite Nicolas Treich, directeur de recherche à l’INRA (Institut Nationale de Recherche Agro-économique). C’est le consentement de ce que les gens sont prêts à payer pour une petite réduction de leur risque de mortalité. »
Une réduction de risque qui a du sens économiquement. La diminution de la mortalité reste en effet au cœur des programmes d’amélioration de qualité de vie : 50% des bénéfices de la lutte contre le changement climatique concernent la baisse de la mortalité. L’Union européenne estime, elle, qu’entre 33 et 100 % des bénéfices des programmes de dépollution de l’air concerneront la baisse de la mortalité. Aux Etats-Unis, le programme équivalent, Clean Air Act, compte sur cette même donnée pour engranger 90% de ses bénéfices.
"Calculer le coût de la vie, c'est avant tout savoir combien on fait de bénéfice en diminuant la mortalité." Nicolas Treich, directeur de recherche à l'INRA #JECO2017 #IPJjéco pic.twitter.com/PqkTlvmBVp
— Jean-loup Delmas (@JeanloupDelmas) November 8, 2017
« Les critiques ne manquent pas sur cette partie des sciences économiques, commente Daniel Herrera, post-doctorant économique. »On entend souvent : ‘Comment osez-vous coter ainsi la vie humaine ?’ ‘La vie n’est pas une valeur marchande’ etc. Or, il ne faut pas se mentir sur la réalité de monde. Les politiques sanitaires ou de développement se font parce qu’elles engrangent des bénéfices, sinon elles ne pourraient pas se financer. »
La valeur statistique de la vie humaine est d’ailleurs venue en France lors de la construction des grands axes autoroutiers. Le trafic des routes nationales est beaucoup plus accidentogène que le trafic autoroutier. Dans la construction des axes routiers, on a intégré sur chacun des tronçons les gains de temps mais aussi les gains de sécurité. Encore aujourd’hui, on a cinq fois plus de risques d’être tué sur une route nationale/départementale que sur l’autoroute.
Un trafic routier qui est encore coûteux en vies humaines. « On estime à 50 milliards le coût de la mortalité routière, soit 2% du PIB, précise Luc Baumstark. Mais pour atteindre l’objectif de seulement 2000 morts sur les routes par an, il faudrait que les automobilistes soient prêts à doubler leur coût de vie, c’est à dire à multiplier par deux le prix qu’ils veulent bien payer pour diminuer leur risque de mortalité sur la route. »
Des seuils de rentabilité pour les nouvelles thérapies
Mais ce coût de la vie, comment est-il calculé ? Prenons pour cela un exemple imagé. On suppose une population de 100 000 personnes, où chaque année les accidents de la route font 100 morts. Chaque individu de cette population a donc une chance sur mille de périr sur la route. Un projet public propose d’installer des barrières sur la route, qui diminueront le nombre de mort à seulement 80 par an, sauvant ainsi 20 personnes chaque année.
Pour calculer le coût de la vie, il faut savoir combien chaque individu est prêt à mettre pour que ce projet public voit le jour. Supposons que chaque citoyen soit prêt à investir 500 euros dans ce projet. Cela donne un coût total du projet de 100 000 x 500 euros = 50 millions d’euros. Il suffit désormais de diviser ce prix total par le nombre de personnes qui seront sauvées, soit 20. Le coût de la vie sera donc de 2,5 millions d’euros pour cette population. Si le projet coûte donc plus de 50 millions d’euros, il ne sera pas adopté par la population.
Ce calcul est utilisé pour l’ensemble des domaines, notamment celui du médical, qui inclut en plus de la mortalité, la morbidité, c’est à dire la dégradation de la qualité de vie.
Lorsqu’on veut tester une nouvelle thérapie, on compare la différence entre les coûts de cette thérapie à celle déjà existante, ensuite on compare le gain de vies des deux thérapies. Certains pays comme le Royaume-Uni ont un seuil selon laquelle une nouvelle thérapie est « coût-efficacité ou pas ». Si ce n’est pas le cas, la nouvelle thérapie est abandonnée, car pas assez rentable. Le seuil de coût-efficacité est par exemple de 45 000 euros en Irlande ou de 20 000 euros en Slovaquie. La France n’utilise pas de seuil pour le moment, mais c’est avec des calculs similaires qu’elle détermine quels médicaments sont remboursés ou non.
Une chose est sûre, le coût de la vie est directement lié à la richesse d’un pays. Plus celle-ci augmente, plus les individus sont eux-mêmes prêts à investir dans un monde au risque de mortalité réduit. De quoi se méfier des crises financières, puisque le coût de la vie a chuté notamment aux Etats-Unis après la crise de 2007-2008. L’économie n’influe donc pas seulement sur la vie des individus, mais aussi sur leur mort.
Jean-Loup Delmas