
Pour Sébastien Jean, aucun doute : « Une guerre commerciale est déclarée entre les Etats-Unis et la Chine ». Le directeur du CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales) est venu défendre son point de vue, ce mardi aux Jéco. Nous l’avons interrogé sur l’état de ce bras de fer sans précédent entre Washington et Pékin.
Les Etats-Unis peuvent ils gagner le bras de fer qu’ils ont engagé avec la Chine?
Les Etats-Unis sont la première économie du monde. La première puissance militaire et financière. Ils ont beaucoup d’atouts à faire valoir quelle que soit la confrontation. Il faut se demander quel est l’objectif et ce que signifie de gagner un conflit comme celui là. Le risque est simplement qu’ils finissent par perdre plus que la Chine.
Quels sont précisément les objectifs de l’administration Trump dans cette « confrontation » ?
C’est assez flou du côté américain. Le premier objectif – depuis longtemps – de Donald Trump est de réduire les déficits commerciaux du pays. Au fond, c’est une variable dont on sait qu’elle est principalement liée aux équilibres macro économiques, la différence entre ce que les Etats-Unis produisent et consomment. Pour le dire autrement, épargne-t-elle suffisamment par rapport à ce qu’elle investit? Il y a fort à parier que ce ne sont pas les barrières commerciales sur les importations chinoises qui vont résoudre ce problème. Ce déficit est même en train de s’aggraver.
Le second objectif est d’utiliser la Chine pour contenir ce déficit commercial et finalement gérer cette concurrence stratégique. Cet objectif ne se limite pas au commerce mais inclut d’autres dimensions géostratégiques. Une guerre froide économique est envisageable, en somme.
Y-a-t-il un risque pour l’emploi aux Etats-Unis? Jack Ma, patron chinois d’Alibaba a par exemple renoncé à créer un million d’emplois sur le territoire américain…
Le protectionnisme tel qu’il est appliqué par Donald Trump peut avoir un certain nombre de conséquences néfastes sur l’économie américaine. D’abord car il crée beaucoup d’incertitude. Cela va encourager les entreprises à reporter leurs investissements et nuire à la croissance. Par ailleurs, il s’expose à des représailles. Les entreprises exportatrices se retrouvent sans débouchés, donc face à des difficultés économiques qui peuvent mener aux licenciements par exemple.
Ces chocs protectionnistes engendrent de forts coûts d’ajustement. De la même façon que des libéralisations importantes d’ailleurs. Ils peuvent avoir un impact positif sur certaines branches, la sidérurgie par exemple et nuire à d’autres. Celles qui utilisent de l’acier ou encore l’agriculture, qui est fortement exportatrice aux Etats-Unis.
Comment expliquer que certaines entreprises américaines, comme General Motors, tirent leur épingle du jeu?
Il y a beaucoup d’autres éléments à considérer. On ne peut pas tout attribuer à une guerre commerciale. Et les répercussions ne sont pas uniformes. Cela dit, General Motors a annoncé des profits trimestriels particulièrement élevés dus à un regain des ventes. Cela n’a pas empêché le groupe automobile de critiquer les mesures de l’administration Trump arguant par exemple le fait que l’acier leur coûterait probablement beaucoup plus cher. En l’occurrence plusieurs centaines de millions de dollars.
GM ne sortira donc pas indemne de cette crise. Encore moins si celle-ci s’aggrave. Car au début, les effets étaient sous-jacents. Mais aujourd’hui ils commencent à se faire ressentir. Heureusement pour ces entreprises, Donald Trump a pris dans le même temps des mesures protectionnistes et de relance fiscale et budgétaire qui soutiennent l’activité. Ces dernières prennent le dessus. Reste à savoir pour combien de temps.
Propos recueillis par Victor Hamard et Julien Hélion
Sébastien Jean, directeur du CEPII, est titulaire d’un doctorat en science économique. Il a dirigé le programme « Modèles et bases de données du commerce international » du CEPII de 2001 à 2005, avant d’occuper le poste d’économiste senior au Département économie de l’OCDE (2005-2006).