Saint-Jean, un quartier qui ne chôme plus

En France, le chômage de longue durée touche 4% de la population active

Le quartier Saint-Jean de Villeurbanne fait partie du programme « Territoires zéro chômeur de longue durée », actuellement expérimenté dans dix sites en France. En deux ans, 72 personnes sans emploi depuis plus d’un an ont ainsi été embauchées en CDI par EmerJean, une entreprise à but d’emploi (EBE).

« Un pied dans la dépression ». Bénédicte Zanko n’a pas oublié sa période de chômage de longue durée. « Deux ans et demi en pyjama », résume-t-elle. Une souffrance sociale qui frappe au moins 10% des 4000 habitants du quartier Saint-Jean. Un taux deux à trois fois plus élevé que la moyenne nationale. Fin 2016, cette enclave urbaine de Villeurbanne, coincée entre le canal de Jonage, l’autoroute et le périphérique, était choisie pour expérimenter durant cinq ans le dispositif  « Territoires zéro chômeur de longue durée ».

Bénédicte habite Saint-Jean depuis 20 ans. À 45 ans, cette ancienne barmaid est métamorphosée depuis qu’elle est salariée chez EmerJean. Pour celle qui a quitté l’école à 14 ans, les deux premiers mois de formation furent éprouvants : « J’en avais parfois les larmes aux yeux ». Aujourd’hui, elle est la meilleure VRP de son entreprise. « Je vais tous les matins au travail avec le sourire, et je ne suis pas la seule ! » À ses côtés, une dizaine de femmes cousent en silence. Des robes de poupées Barbie sont fabriquées par l’artiste du groupe, Sofya Martirossian.« C’est un nom arménien », précise-t-elle en roulant les « r ».

« Notre entreprise est multiculturelle ! », s’enthousiasme Bénédicte.  Ici, les voiles sont acceptés. « Pas comme dans d’autres sociétés », peste-t-elle. « La barbe, le voile : on est catalogués », poursuit Kahtib (photo), son fils de 28 ans. Il est l’un des rares jeunes à avoir décroché un CDI chez EmerJean. La moyenne d’âge des salariés de l’entreprise est de 45 ans. De l’aveu même du président d’EmerJean, Bertrand Foucher, cela pose un « vrai problème ». Les jeunes représentent moins de 10% de la masse salariale de l’entreprise alors qu’ils représentent 44 % de la population du quartier Saint-Jean. Kahtib a longtemps été baladé d’intérim en intérim. Dix ans à faire « le bouche-trou », observe avec amertume sa mère. Aujourd’hui, il accompagne les collégiens dans leur trajet quotidien en bus. « L’année dernière, il y a eu beaucoup de bagarres. Ma présence sécurise les familles », conclut ce grand baraqué en doudoune noire.

Une utopie encore loin d’être réalisée

« Pas de chef iciPersonne ne m’oblige à faire quoi que ce soit », explique crânement Bénédicte devant son président Bertrand Foucher. « Elle a un sacré caractère ! Je ne peux pas la diriger comme le ferait un chef d’entreprise classique. » Flexibles et polyvalents, les salariés de l’entreprise répondent rapidement aux demandes les plus diverses : aide à domicile, soutien scolaire, coiffure, repassage, travaux, manutention, etc. Les 72 employés d’EmerJean ont des horaires de bureau et sont protégés par un « CDI à temps choisi ». « On est le contre-Uber de l’emploi », se félicite Agnès Thouvenot, adjointe au maire de Villeurbanne, qui participait ce mardi à une conférence des Jéco sur l’avenir des métropoles modernes.

À prestation égale, « le prix habitant » des services à la personne proposés est deux à trois fois inférieur aux tarifs pratiqués dans le centre-ville de Lyon. Cette attractivité sociale de l’offre d’EmerJean est sa force mais également sa faiblesse. Pour être à l’équilibre, l’entreprise doit augmenter son chiffre d’affaires qui s’élève péniblement à 28 500 € en 2017. « Territoires zéro chômeur » repose sur un principe simple : plutôt que de verser une indemnité aux intéressés, l’Etat abonde un fonds qui transfère l’argent aux EBE pour chaque personne recrutée. La ré-allocation des coûts liés à la privation d’emploi [Ndlr : d’après une étude réalisée en 2017 par ATD-Quart Monde, le chômage de longue durée coûterait chaque année 43 Mds € à la France] couvre environ 2/3 du coût d’un poste à temps plein payé au SMIC. Or, le dernier tiers est encore loin d’être couvert par le chiffre d’affaires généré par l’EBE. « On devrait être à l’équilibre d’ici à la fin 2019, espère Bertrand Foucher. Nous devons augmenter le nombre de prestations en volume. »  Ou revoir à la hausse ses tarifs car EmerJean dépend encore à 80% de subventions publiques. Pour atteindre cet objectif, la création d’une deuxième entreprise à but d’emploi est à l’étude. Bénédicte y croit, et puis elle suivrait son patron les yeux fermés. « Au moins, il se fout pas de notre gueule, lui ».