
Patrimoine immobilier, capital, entreprise familiale… Les questions d’héritage sont foncièrement économiques. Mais l’héritage est aussi social, culturel. En France, les générations se transmettent leur condition. La reproduction sociale était l’un des sujets de la conférence « Comment éviter une société d’héritiers ? », mercredi.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En France, un enfant de cadre supérieur a cinq fois plus de chance qu’un enfant d’ouvrier d’appartenir aux 20% de la population aisée et vingt fois plus d’appartenir aux 1% les plus aisés. Ces statistiques émanent de France Stratégie, organisme rattaché au Premier ministre censé définir les axes de développement du pays.
Il y aurait donc plusieurs héritages. L’un est économique et représente 20% du revenu des ménages, en moyenne. L’autre est social, culturel. Les enfants héritent de la condition de leurs parents et des trajectoires qui lui sont inhérentes. « On observe en France une réelle transmission des niveaux de vie. Plus votre père a un revenu élevé, plus vous avez des chances de suivre ses pas », souligne Nicolas Frémeaux, maître de conférence à l’université d’Assas. Un phénomène qui se renforce au fil des générations, selon le chercheur.
Inégalité des chances
La France parvient à contenir les inégalités de revenu mais pas celles des chances. Qu’en est-il au niveau mondial ? « La France est dans un entre-deux. Plus rigide que les pays nordiques, où l’on observe un véritable renouvellement des élites. Plus égalitaire que les Etats-Unis, où quand vous naissez dans une rente, vous y restez », assure Nicolas Frémeaux. L’économiste reconnaît tout de même une certaine difficulté méthodologique dans les études comparatives internationales.
Comment lui donner tort quand on regarde de plus près les résultats de France Stratégie ? Parmi les 10% de la population les plus modestes, la moitié sont des enfants d’ouvriers. A l’inverse, seulement un dixième d’entre eux figurent parmi les 10% les plus aisés. Pis encore, l’origine sociale influe sur la probabilité de faire partie des ménages pauvres (dont le niveau de vie est au-dessous de 60% du revenu médian, soit 1700 euros). 4% des enfants de cadres supérieurs en font partie, contre 16% pour les enfants d’ouvriers non qualifiés.
Leviers d’action
Alors, comment remédier à cela ? Pas de recette miracle. « La France bénéficie d’un système éducatif public censé agir contre l’inégalité », rappelle Nicolas Frémeaux. Des collèges, lycées, universités qui permettent « d’apporter du capital culturel à tous ». Mais c’est sans compter les phénomènes de « filiarisation »: les grandes écoles et les masters pour les enfants issus de classes sociales élevées, les filières courtes pour les autres. Sans parler des établissements privés, ou du fait que les dépenses par élèves soient plus élevées dans les zones favorisées selon le ministère de l’Education. « Même les enfants des classes inférieures qui se retrouvent à faire de belles études ont généralement des carrières plus linéaires que les autres » regrette le chercheur.
Les solutions semblent difficile à trouver: « Au-delà de l’éducation, beaucoup d’effets démographiques rentrent en compte ». L’homogamie par exemple, c’est à dire que les individus aient tendance à se regrouper ou se marier selon leur revenus, « cela participe à la reproduction sociale ». Un phénomène qui augmente, depuis les années 1990, avec notamment l’augmentation du revenu des femmes. Mais les effets sont ambigus. Cela induit, d’un côté, une réduction des inégalités entre femmes, qui n’ont quasiment plus « zéro revenu » mais aussi, de l’autre, le creusement des différences entre les couples français. Et donc entre leurs enfants.
Victor Hamard.