
Les politiques sociales françaises sont-elles efficaces ? Alors que notre modèle est souvent présenté comme unique au monde, il demeure difficile d’évaluer l’impact des politiques menées sur le long terme. Depuis plusieurs années, chercheurs, acteurs privés et institutionnels tentent de remédier à cette incertitude.
« On met un pognon de dingue dans les minima sociaux et les gens ne s’en sortent pas »: cette phrase, prononcée en juin dernier par Emmanuel Macron avait provoqué un tollé dans les rangs de l’opposition, certains dénonçant le mépris du président de la République à l’égard des classes sociales inférieures. Alors que le plan pauvreté est désormais à l’œuvre et que la gronde des Français monte après la rentrée sociale du gouvernement, cette formule a un mérite : celle de poser la question de l’efficience des politiques sociales.
« La France n’a pas la culture de l’évaluation »: dès les premières secondes de son intervention, l’économiste Marc Ferracci, conseiller spécial de la ministre du Travail Muriel Pénicaud, plante le décor. Pourtant, la France apparaît bel et bien comme la championne d’Europe en matière de dépenses de protections sociales. Avec 714,5 milliards d’euros de prestations sociales versées en 2016, soit 32,1 % du PIB, elle se place devant le Danemark et la Finlande. Mais alors, ce paradoxe serait-il inextricable ?
Une France championne du monde mais aussi lanterne rouge. Tel est le constat de Rozen Desplatz. Experte à France Stratégie elle a mené une étude sur la question des évaluations d’impact des politiques sociales. Et ses conclusions sont sans appel : la France se classe à la dernière place européenne s’agissant de ces évaluations. Pour elle, tout indique que « les évaluations sont rarement prévues et ce, ‘ex ante’ comme ‘ex post ». Ainsi, les politiques sociales devraient-elles être passées au crible en amont de leur mise en place.
Evaluer pour mieux ajuster ?
Pour Marc Ferraci, cette analyse a priori demeure essentielle. À l’origine du Plan d’investissement compétences (PIC), visant à mieux former les demandeurs d’emplois peu qualifiés et les jeunes décrocheurs, il explique avoir dans ce cadre « cherché à comprendre le rendement et la valeur ajoutée des différentes formations proposées par l’Etat. L’objectif de l’évaluation a été d’arriver à sélectionner les bons dispositifs, les bons prestataires et cela n’aurait été possible sans ce ciblage et cette évaluation. »
Mais alors un « échec » comme celui du CICE aurait-il pu être évité ? Ce crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, voté sous François Hollande, permettait aux entreprises de réduire – avec plafond – de 6% leurs charges salariales. Pourtant, il sera tout bonnement supprimé au 1er janvier 2019, les objectifs de création de 1 million d’emplois n’ayant pas été remplis. Pour Rozen Desplaz, la réponse est plus compliquée que cela: « il faut toujours du temps pour que les politiques publiques produisent des effets. Les évaluations ne permettent pas toujours de comprendre pourquoi ça ne fonctionne pas. Il faut arriver à ce que les dispositifs d’évaluations soient complets, or à l’heure actuelle ils influencent peu les décisions et les pratiques en France. »
Mais alors, quelles solutions ?
Jean Pisani-Ferry, professeur à Science Po et à la Hertie School of gouvernante de Berlin, est à l’origine du programme économique d’Emmanuel Macron. Et pour lui, pas de doute: « il vaut toujours mieux agir préventivement et a priori. Il vaut mieux dépenser en amont et non pas remédier aux problèmes. » Pour le désormais professeur à la Hertie school of governance de Berlin, le problème est bien d’ordre politique: « Evaluer ne veut pas dire forcément faire les bons choix. Qui doit faire ce travail ? Les chercheurs ? Qui doit informer ? Cela pose des questions plus profondes que celles de la simple évaluation. »
Renforcer le rôle du Parlement pour mieux évaluer les dépenses sociales, telle est la principale solution préconisée par Jean Pisani-Ferry. « Il faut que les deux chambres aient un rôle de contrôle. Il y a un réel déséquilibre en France. Les parlementaires votent la dépense mais ne la contrôlent pas » , assure-t-il.Un paradoxe somme toute très français.
Kevin Denzler
Marc Ferracci, Rozen Desplatz et Jean Pisani-Ferry intervenaient dans une conférence intitulée « Mieux dépenser dans le social ? », au même titre que Pierre Arwidson et Denis Fougère.