Les niveaux de dette publique font craindre une nouvelle crise économique

Dix ans après la crise des subprimes, faut-il s'inquiéter à l'orée de l'année 2019 ?

Crise financière mondiale en 2008-2009, crise européenne de la dette souveraine de 2010 à 2012 : la décennie qui s’achève a sérieusement ébranlé l’économie de la planète. Et inéluctablement, d’autres secousses surviendront. Parmi les craintes actuelles : les niveaux record des dettes publiques de certains pays.

De la crise néerlandaise de la tulipe au 17e siècle à celle – plus récente – des subprimes, l’histoire du monde capitalistique est parsemée de secousses financières. Alors que se profile une guerre commerciale sans précédent, qui pourrait nuire considérablement à la croissance économique mondiale, c’est pourtant bel et bien le niveau d’endettement global qui pourrait être à l’origine d’une nouvelle phase de dépression. C’est en tout cas la crainte du FMI, exprimée dans son rapport sur la stabilité financière mondiale, en date du 10 octobre 2018.

Si l’histoire récente du capitalisme nous a appris une chose, c’est que les économistes ne savent pas prédire les crises. Pourtant pour Claudio Borio, directeur du département de l’économie et de la monnaie de la Banque des règlements internationaux (BRI) et présent ce mardi à la Bourse du travail de Lyon, une chose n’en demeure pas moins sûre : «  le problème de l’endettement est le plus inquiétant pour les années à venir. Nous pourrions bien tomber dans la spirale infernale de la dette. » Un constat partagé par Robert Ophèle, président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), pour qui « l’endettement est d’ores et déjà massif ».

Alors que les niveaux de dette publique rapportés au PIB n’ont jamais été aussi élevés au niveau mondial, Patrick Artus, chef économiste chez Natixis, pointe directement du doigt les pays émergents. Autrefois salués pour leur dynamisme économique, ils seraient tout simplement  » en crise ». « Les économies émergentes comme l’Argentine, le Brésil ou la Turquie ne peuvent simplement plus financer leurs déficits extérieurs. Ils ne cessent de voir leurs taux de change se déprécier. Cela a donné lieu à une crise de la dette qui s’est transformée en dette extérieure ».

Un risque de contagion ?

Et les pays de l’OCDE – excepté l’Allemagne – ne dérogent pas à la règle. Et en premier chef, l’Italie. Si Pierre Moscovici, commissaire européen à l’économie, affirmait il y a quelques jours que la dette publique transalpine « ne présentait pas de risque de contagion », Patrick Artus, lui, se veut moins optimiste: « La hausse de l’endettement public italien est dangereuse. Le risque serait que les taux d’intérêts montent. Alors que les banques nationales détiennent souvent la dette, cela pourrait se traduire par une crise bancaire qui pourrait alors se transmettre aux banques des autres pays de la zone euro ».

Car c’est bien là que se joue le nerf de la guerre : la hausse des taux d’intérêts. Et par voie de fait, la modification des politiques économiques. Implicitement, les banques centrales apparaissent alors comme les garantes de la stabilité financière mondiale. Depuis la crise de 2008, les banques centrales – la BCE et la Fed américaine en tête – ont mené des politiques de taux d’intérêts très bas pour relancer l’économie. Changer de paradigme pourrait-il alors créer une véritable crise des dettes publiques ?

Le dilemme des banques centrales

En appliquant des taux d’intérêts négatifs ou nuls, les différentes banques centrales ont poussé les états à emprunter. Dès lors, cette mesure a eu pour conséquence d’endetter ces mêmes états. Pour Patrick Artus, les banques centrales se trouvent désormais dans un dilemme. « Elles se trouvent même dans une impasse : soit elles peuvent empêcher une crise des dettes publiques en gardant des taux d’intérêts bas mais elles ne pourront pas réagir à un choc extérieur, soit elles peuvent freiner le processus en cours en remontant les taux d’intérêts mais cela aurait pour conséquence de déclencher une crise des dettes publiques. »

Chez Claudio Borio, le son de cloche est le même. « Jusqu’où les banques centrales pourront-elles monter les taux d’intérêts sans créer de crise majeure ? ». Alors que la Fed vient de remonter ses taux pour la troisième fois consécutive en septembre et que la dette publique américaine s’est hissée à plus de 106% du PIB, serait-on parti pour un remake de la crise de 2008 ? Les invités de la conférence n’ont pas souhaité trancher, de peur de passer pour de nouveaux Cassandre…

Kevin Denzler

 

Claudio Borio, Patrick Artus et Robert Ophèle intervenaient dans une conférence intitulée « Une crise grave est encore possible », au même titre qu’Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor. Un débat animé par le journaliste de TF1 François Lenglet, dont vous pouvez retrouver le point de vue sur la question ici