Lutte contre les fake news vs liberté d’expression

« Fake news » : entre éducation, autorégulation et législation

Vérifier les fausses informations, tout en respectant la liberté d’expression et la pluralité des médias : c’est tout l’enjeu du débat de la lutte contre les fake news. Un débat articulé autour de deux questions fondamentales : peut-on et doit-on réguler cette bataille contre les fausses informations ?

« Les premiers remparts contre la désinformation sont les journalistes et les médias eux-mêmes », commence Emmanuel Cugny, président de l’Association des journalistes économiques et financiers (AJEF), en citant l’ex-ministre de la Culture Françoise Nyssen. Mais comment lutter contre les fake-news, et surtout, jusqu’où ?

  • L’éducation

« Les sites de fact-checking et de debunking (littéralement « démystification » NDLR) sont très utiles pour nous à l’école », explique Cécile Paoli, professeure-documentaliste au collège Jean Lurçat à Archères. Celle-ci mène depuis plusieurs années des projets d’éducation aux médias avec ses élèves, et estime que les adolescents sont des « grands consommateurs d’information » mais sont aussi « très vulnérables ». Mais à l’ère des réseaux sociaux, ce ne sont pas les seuls crédules face à l’«infobésité» croissante. « 70% des européens affirment savoir repérer une fake news », affirme Guillaume Roty, porte-parole de la Commission européenne en France. Et de continuer : « Il y a un peut-être un petit problème de confiance en soi ». Pour lui, l’éducation aux médias ne va pas de soi.

Certains programmes, comme les Décodeurs du Monde, permettent de vérifier et de remettre dans leur contexte les informations qui circulent le plus sur les réseaux sociaux, ainsi que les citations des politiques par exemple. Ioana Manolescu, polytechnicienne et directrice de recherche à l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et automatique) le confirme : pour elle, les Décodeurs ont compris depuis très longtemps l’importance fondamentale de l’explication. « Il ne faut pas juste vérifier, mais donner du contexte », précise-t-elle.

Depuis 4 ans, elle mène avec d’autres chercheurs un projet collaboratif avec la cellule du Monde appelé ANR Content Check. Le but : aider les Décodeurs à développer des nouveaux outils pour vérifier les informations, notamment des algorithmes qui permettent d’automatiser certaines actions et donc d’être plus efficace. « Mais cela reste avant tout de l’humain, avec un journaliste qui fait des choix », explique Ioana Manolescu. « Je crois à la résistance de la société éduquée », ajoute-t-elle.

  • La lutte économique

Pour Françoise Benhamou, professeur de sciences économiques à l’université Paris 13, « combattre le business model des fake news» est un élément essentiel de cette lutte. Selon elle, le but économique de l’industrie des fake news est simple : « créer de l’information qui ne coûte rien, et faire circuler ensuite ce qui n’a rien coûté. ». Elle estime nécessaire de « restituer et renforcer le business model de la presse traditionnelle », et ajoute que les fake news circulent 6 fois plus vite que les vraies infos.

Les fake news économiques font partie des plus complexes à débunker, car certains concepts sont compliqués à expliquer. Aussi, « il faut expliquer les choses les plus simples. La manière dont on calcule un indicateur par exemple. Le plus important reste d’éduquer », affirme Ioana Manolescu.  « Une des vertus de la crise a été de faire s’intéresser davantage les Français à la chose économique. Tout le monde est un acteur économique et social », complète Emmanuel Cugny, le président de l’AJEF.

« Les gens souhaitent comprendre. Maintenant dans les médias généralistes on parle de la politique monétaire américaine, ce qu’on ne faisait pas il y a une dizaine d’années. On sait que cette politique a un impact sur les taux d’intérêt en Europe et en France, et derrière il y a le crédit immobilier et l’épargne. », ajoute-t-il.

  • Autorégulation VS législation

Dans la lutte contre les fausses informations, deux conceptions se dégagent. L’autorégulation, qui consiste à penser qu’en donnant les outils nécessaires aux citoyens, les fake news disparaîtront petit à petit. Et la législation, qui permettrait de punir les auteurs de fausses informations.  La Commission européenne semble pour le moment avoir fait le choix de l’autorégulation.

En France, une loi sur les fake news est en examen au Sénat. Mais la législation a ses limites. Si les fake news étaient jugées devant un tribunal, cela signifierait qu’un juge trancherait sur la véracité de l’information. Ainsi, ce sont les questions de liberté d’expression et de pluralité des médias qui entrent en ligne de compte. Tous s’accordent sur un point : à l’ère des réseaux sociaux et de l’immédiateté, la condition de la réussite de cette régulation passera par la rapidité.