
Les prévisions de croissance sont un outil majeur des politiques économiques menées par les états. Le budget italien pour l’année 2019, récemment retoqué par la Commission européenne, se base sur une hausse du PIB de 1.5%, alors que Bruxelles table sur 1.1%. Comment sont construites ces prévisions de croissance au cœur des discours politiques et médiatiques ? C’est une des questions auxquelles la conférence des Jéco « Prévision de croissance : mission impossible ? » a tenté de répondre.
« La prévision de croissance est un art », plaisante Gilbert Cette, directeur général des Etudes et des relations internationales à la Banque de France. Dès le début des discussions, Michel Houdebine, chef économiste à la direction générale du Trésor, prévient : « Tous les intervenants ici sont des praticiens de la prévision, donc aucun de nous ne vous dira que c’est impossible.» La question n’est donc pas tant de savoir s’il est possible de produire ces indicateurs que d’expliquer comment, et avec quelles incertitudes.
« Même à court terme, il y a une marge d’erreur inévitable », reconnaît Didier Blanchet de l’Insee. L’institut se projette trois ou six mois en avant pour ses prévisions. Des enquêtes de conjonctures sont menées mensuellement auprès des chefs d’entreprise pour avoir une idée de l’état de la production, de l’activité et de la demande dans l’industrie. « Il faudra s’accoutumer à une croissance au mieux modeste dans les années à venir » avertit Didier Blanchet.
De son côté, le ministère de l’Economie et des Finances s’intéresse aux évolutions de la croissance de un à quatre ans dans le futur. « Nous essayons de prévoir, à partir du passé, comment vont évoluer la consommation, l’investissement ou encore les exportations » détaille Michel Houdebine. Toutefois ces modèles peuvent se tromper. « Par exemple, en début d’année, la croissance un peu atone a surpris les conjoncturistes » ajoute-t-il.
Depuis 2012, ces prévisions sont soumises à l’avis du Haut conseil des finances publiques (HCFP). Le HCFP qui confirmait, au moment même de la conférence, la prévision de l’Insee de 1,6% de croissance pour 2018. Un chiffre un peu en-deçà de celui du gouvernement qui table, lui, sur 1,7% de hausse du PIB, un chiffre avancé par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). « Nous avons révisé à la baisse de 0,3 point nos prévisions de croissance pour 2018 et 2019, explique Mathieu Plane, économiste à l’OFCE. Cela s’explique principalement par un effet pétrole, avec un prix plus élevé que ce que l’on avait prévu.»
Et la croissance en 2100 ?
D’autres organismes tentent de se projeter encore plus en avant. L’OCDE propose des projections de croissance jusqu’en 2060 ! « À cet horizon, on ne parle pas de prévision mais de projection, précise Annabelle Mourougane, chef de division adjointe au département des Affaires économique de l’OCDE, c’est-à-dire que l’on extrapole à partir de tendances passées et on essaie d’identifier les tensions qui pourraient émerger.»
Ces projections se basent notamment sur l’évolution attendue de la démographie et sur l’hypothèse d’un rapprochement des pays les moins avancés avec les pays les plus développés. « Selon ces prévisions, on observe deux faits saillants : d’une part, la croissance mondiale devrait passer de 3,5% à environ 2%, et d’autre part, les pays asiatiques vont avoir un rôle de plus en plus important dans l’économie mondiale », détaille Annabelle Mourougane.
Avec deux autres chercheurs, Antonin Bergeaud et Rémy Lecat, Gilbert Cette a essayé de présenter des scénarios pour l’horizon 2100: « On distingue deux extrêmes : une stagnation séculaire de la productivité et un scénario, plus favorable, de choc technologique explique Gilbert Cette. Ce dernier suppose des gains de productivité équivalents à ceux de la deuxième révolution industrielle. Dans ce cas, on serait à 3% de croissance par an dans les zones développées. »
Le big data dans la prévision économique ? Doit faire ses preuves !
« Il y a un peu ce mythe que les méthodes actuelles que l’on vient de vous présenter seraient ringardes et qu’il suffirait de récupérer les données sur Internet » ajoute Didier Blanchet. L’Insee a tenté quelques utilisations de ces nouveaux outils, mais ils ne sont pas efficaces notamment pour prévoir les évolutions du PIB *. « Il y a un domaine où cela marche un peu, ce sont les prix. On peut construire des indices des prix en les récupérant sur le web. On récupère les données de caisse, ce qui permet d’avoir les postes de dépenses. Ces méthodes fonctionnent, mais pas mieux que les outils que nous avons déjà » ajoute-t-il.
L’OCDE a aussi mené des essais de machine learning pour faire des projections, non convaincantes pour le moment. « L’un des grands défauts de ces mesures est qu’elles sont considérées comme des vérités. Or les projections ce ne sont pas seulement des chiffres, mais aussi un contexte économique » pointe Annabelle Mourougane.
« Il faut utiliser ces outils dans des domaines où ils ont une valeur ajoutée » conclut Didier Blanchet