
Une monnaie de référence est-elle un « levier d’action » politique? C’était l’objet de la conférence « L’arme du dollar », jeudi à la tour Incity. Quatre intervenants ont débattu du rôle et de la définition d’une monnaie de référence. La pérennisation du dollar dans ce rôle n’est pas garantie.
Soixante pour cent des transactions commerciales ou financières sont effectuées en dollars. Comment, dès lors, ne pas parler de « monnaie de référence »? André Cartapanis est professeur d’économie financière à Sciences Po Aix. Selon lui, deux déterminants fixent cette monnaie comme référente. Une décision collective, d’abord, en l’occurrence celle d’après-guerre de s’arrimer au dollar. Des décisions individuelles, ensuite, liées au commerce. « Une monnaie c’est d’un côté une offre, de l’autre une demande », rappelle-t-il.
Du produit à la puissance
Est-ce suffisant pour devenir une référence? Pas tout à fait. « Il faut prendre en compte la taille de l’économie et la stabilité de son système financier » ajoute l’économiste. C’est en fait la confiance accordée en la monnaie qui la rend légitime dans sa domination. Michel Aglietta, professeur émérite d’économie à Paris X analyse la fabrication d’une monnaie de référence dans sa perspective historique : « L’affirmation d’une monnaie de référence s’est faite après une période de libéralisation des échanges, et toujours grâce à une matière recherchée. Au Royaume-Uni, ce fut la livre et le charbon. Aux Etats-Unis, le pétrole et le dollar ». Un produit phare, une monnaie demandée et un levier de puissance incontestable.
« La fin du pétrole fera bouger les lignes »
Si l’on suit le raisonnement de Michel Aglietta, il faut s’inquiéter pour les Etats-Unis et le dollar. « La fin du pétrole fera bouger les lignes », assure l’auteur de La violence de la Monnaie. Il souligne d’ailleurs l’apparition d’un nouveau bien commun. Après le charbon et le pétrole, le climat. Plus qu’un bien, un enjeu global. A enjeu global, réponse globale et monnaie globale.
Et pourquoi pas les Droits de tirage spéciaux (DTS), cette devise du FMI qui combine les cinq principales devises internationales? « Le DTS permettrait de financer des projets ambitieux et écologiques », assure Michel Aglietta. Encore faut-il transférer la compétence au FMI, le cas échéant. Pas sûr que cela plaise à la Chine, candidate pour le flambeau de la monnaie de référence, selon André Cartapanis. « La Chine remplit désormais les mêmes critères de stabilité que les Etats-Unis. En terme de taille, d’efficience et de qualité du système financier. Elle est donc légitime. ». Quant à l’Union Européenne, le compte n’y est pas, notamment « à cause d’un système obligataire beaucoup plus fractionné ».
Et l’euro dans tout ça?
Natacha Valla est directrice adjointe pour la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne (BCE). Selon elle, « la BCE n’a aucun objectif en terme de change ». Une raison qu’elle évoque, le tropisme, voire l’obsession allemande à fuir l’inflation. Déjà à l’époque, elle contenait son Deutsche Mark. Pas d’ambition définie mais un souhait : « conserver l’euro pour les générations futures », assure-t-elle. A vrai dire, l’euro reste bien ancré avec 20% des usages, sans exception. L’euro est une monnaie de réserve, de paiement international, d’émission de dettes…Comme son homologue le billet vert.
Reste que, une fois n’est pas coutume, l’harmonisation des institutions n’est pas de mise au sein de l’Union. Jean-Claude Juncker, président de la Commission ayant poussé à plusieurs reprises pour un rôle accru de l’euro à l’échelle internationale. Jouer un rôle accru, certes, mais jamais autant que le dollar, selon Didier Brunot, membre du directoire de la Caisse d’Epargne Rhône Alpes, pour qui la puissance d’une monnaie est définie par la puissance des banques du pays émetteur de cette monnaie. « Les banques européennes ne pourront jamais supplanter les américaines dans la finance de marché, ou dans le private equity (investissement dans les sociétés non côtées ndlr) », certifie le banquier. Et même en Europe, où elles sont encore plus présentes… qu’avant la crise de 2008.
Victor Hamard