André Cartapanis : « Donald Trump a subi la pression des banques »

André Cartapanis, à Science Po Aix.

« La longue histoire de l’instabilité financière » : vaste sujet débattu, ce mardi, lors des Jéco. En conclusion, André Cartapanis, professeur d’économie financière à Sciences Po Aix, a abordé le lien entre mondialisation des années 1980 et instabilité financière, avant d’accorder une interview à l’Echo des Jéco.  

Qu’entendez vous par globalisation financière?

La globalisation financière est le changement d’échelle, observé à partir des années 1980 et la libéralisation qui est liée. Est arrivée la possibilité de s’endetter ou de réaliser des placements à l’échelle internationale et non plus seulement domestique. Ce qui était délicat dans les années 1950-1960 sans vraie circulation des capitaux. Les marchés financiers de crédits, d’obligations, se sont libéralisés, internationalisés jusque dans les pays émergents dans les années 1990. L’internalisation a ensuite concerné les acteurs type banques ou fonds d’investissement. 

Sur quels fondements repose l’instabilité liée à la globalisation financière? 

Il y a trois phénomènes sous-jacents. D’abord, celui du miroir. L’idée que les phénomènes observés en économie fermée se retrouvent dans une finance globalisée. La cyclicité, les périodes avec expansion de crédits, avec alimentation en liquidité avec décrochage rapide ou krach boursier, par exemple.

Ensuite, il y a le phénomène de catalyseur. La globalisation financière s’est accompagnée d’une forte expansion de la liquidité. En conséquence, les déséquilibres de balances de paiement se sont maintenus dans le temps, ce qui n’est pas possible dans une économie fermée, où on ne peut alléger son déficit qu’en prenant sur les réserves de change.  Du coup, les taux de change se sont financiarisés et sont devenus des actifs sujets à de l’instabilité. 

Enfin le phénomène d’amplification. Ce que l’on appelle contagion ou « spillover« . Une crise dans un pays peut donner naissance à la même chose ailleurs. Par exemple, la crise asiatique qui démarre en Thaïlande en 1997 a contaminé l’Amérique latine. Ou la crise de 2008. 

Après 2008 justement, qu’a-t-on mis en place pour pallier cette instabilité? 

La crise de 2008 a été bancaire au départ. Trop de crédits subprimes accordés à des ménages non solvables,  produits ensuite titrisés ayant alimenté l’arrivée de liquidités d’Europe ou d’Asie, et donc la diffusion de la crise. La réponse immédiate a été le sauvetage des banques et l’injection de liquidités. Puis on a pris conscience que les banques n’étaient pas assez régulées. En 2010, a été décidée, dans les accords de Bâle 3, l’augmentation des ratio de capitaux propres imposés aux banques, ainsi que des ratios de liquidité pour faire face à un choc ponctuel.  On exige désormais des banques qu’elles aient dans leur avoirs des actifs très liquides pour résister trois mois ou un an à un choc, sans avoir à vendre des titres dans la précipitation, ce qui favoriserait la contagion.

Mais a-t-on agi au niveau global justement? 

Bâle 3 dispose aussi d’une dimension macro prudentielle c’est à dire non  focalisée seulement sur les fragilités individuelles. Elle introduit de nouveaux outils dont disposent les régulateurs comme le volant contra-cyclique (possibilité de donner aux superviseurs le moyen d’augmenter les exigences en capitaux propres auprès des banques s’ils sentent l’arrivée d’un choc ndlr). Et ce à l’échelle de tout un système bancaire, pas seulement d’une économie. Ils peuvent demander à une banque, même bien capitalisée, d’augmenter ses ratio de fonds propres.

Ces mesures sont-elles appliquées et efficientes? 

Bâle 3 est en cours de mise en application. Il faut le traduire dans les dispositifs nationaux car il n’existe pas d’instance mondiale qui puisse l’imposer. C’est fait aux Etats-Unis et en Europe, avec toujours des interrogations sur la mise en application effective dans chacun des pays.

Qu’appelle-t-on les « stress tests » ?

C’est un mécanisme assez efficace à mes yeux. les superviseurs peuvent imposer des simulations pour toutes les grandes banques comme s’il y avait un choc. On se met dans une situation de baisse de croissance, raréfaction des liquidités, comme en 2008, et on regarde si elles tiennent. Les derniers, publiés la semaine dernière montrent qu’un grand nombre de banques sont mieux à même de résister. Certaines, comme la Société générale, n’ont pas rassuré. Le superviseur est alors en droit de demander une amélioration des ratios. Le problème est que ces tests de stress ne concernent pas toutes les banques, seulement les « too big to fail« .

Donald Trump n’a-t-il pas diminué le nombre de banques assujetties justement? 

Si tout à fait. Il est parti du principe que trop de contraintes pèsent sur les banques. Il a subi la pression des banques. Evidemment, c’est coûteux pour les banques de satisfaire tous ces ratios. Elles doivent conserver des avoirs qui ne sont pas rémunérateurs car sans affectation possible. Il y a toujours eu un bras de fer entre les lobbies américains et les superviseurs. Là, on assiste à une sorte de retour en arrière, pas au niveau de l’avant crise mais qui limite clairement les effets des mesures prises. 

Risque-t-on de revivre une crise globale? 

Une crise est toujours adossée à la fois à des facteurs micro-économiques et à une situation macro financière qui crée des fragilités. La question est de savoir si au delà de l’amélioration du contrôle des banques, on est pas entré dans une phase macro de fragilité. Et le paysage est trouble, sur les niveaux d’endettements plus élevés qu’en 2008 ou les taux d’intérêts par exemple. Il faut attendre de voir mais le risque d’avoir une nouvelle crise n’est pas nul. 

 

Propos recueillis par Victor Hamard.