
« Prévisions de croissance à la baisse », « ralentissement de la croissance », « coup de froid sur la croissance », … Depuis une trentaine d’années, les pays de l’OCDE voient leur PIB augmenter moins fortement : 5,2% par an en moyenne en 1980, 2% voire moins depuis 2010. Au-delà de ce constat, une question : la croissance profite-t-elle à toutes les couches de la société ?
« Il faut garder à l’esprit la différence entre la quantité et la qualité de la croissance ». Dans son discours de réception du Prix Nobel en 1971, l’économiste Simon Kuznets pointait déjà toute l’ambivalence de la croissance économique. Une des conclusions de ses travaux résidaient dans le fait que lorsqu’un pays se développe, les inégalités s’accroissaient dans un premier temps avant de diminuer. Près d’un demi-siècle plus tard et alors que sa théorie est remise en question par des économistes tels que Thomas Piketty, les fruits de la croissance semblent, à première vue, ne profiter qu’à une faible partie de la population.
C’est en tout cas l’opinion de Pierre-Yves Geoffard, directeur de recherche au CNRS. « La croissance profite aux 1% les plus riches, c’est un fait. La majorité de la population est passée à côté de la croissance. La question qui se pose maintenant est de savoir si l’on souhaite cette croissance où les gains de richesses sont accaparés par une petite majorité. »
« Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous », disait Aristote. Pour Pierre-Yves Geoffard, si la croissance demeure une question « de riches », force est de reconnaître que « la croissance a permis de sortir de la misère. 40% de la population mondiale vivait sous le seuil d’extrême pauvreté en 1980 – soit avec moins de 1,90 dollar par jour – quand de nos jours ce chiffre est de moins de 10%. Grâce à la croissance, des centaines de millions de personnes sont sortis de la pauvreté ».
Et si les inégalités pénalisaient la croissance ?
Pourtant sortir de la pauvreté impliquerait-il forcément une réduction des inégalités ? Martine Durand est directrice des statistiques de l’OCDE. Et pour elle, rien n’est moins sûr. « Nous avons assisté à une forte croissance des inégalités de revenus. Les 10% les plus riches détiennent plus de la moitié des richesses. Une autre réalité est que les riches épargnent plus. Mais c’est une tendance lourde, on épargne au lieu de consommer car l’on s’inquiète de la montée de l’incertitude sur l’emploi, par exemple, donc on consomme moins de biens et services qui pourraient accroître la croissance. Pour autant, Martine Durand se refuse à considérer que la croissance soit « un problème de riches. L’environnement par exemple est une question transversale qui doit intéresser tout le monde, riches comme pauvres »
L’an passé le FMI remettait un rapport dans le cadre de son assemblée annuelle. Et tirait la sonnette d’alarme, en préconisant de taxer plus fortement les riches, « car ce sont les inégalités, et non pas les impôts, qui pénalisent la croissance. » Même si certaines inégalités apparaissent inévitables dans un système basé sur une économie de marché, « des disparités trop excessives compromettraient la cohésion sociale et conduiraient à un affaiblissement de la croissance économique« .
Dominique Méda, professeure de sociologie à l’université Paris-Dauphine, propose quant à elle une alternative à une croissance économique « devenue une panacée ». Pour elle, si les plus hauts revenus profitent de la croissance c’est tout d’abord du côté des gouvernants qu’il faut chercher. « Dans leurs discours, ils ont érigé la croissance en religion. Ils ne cessent de prier pour que la croissance revienne ou qu’elle soit plus forte. Le dieu Croissance serait un proxy du progrès. » Avant de conclure qu’en matière d’inégalités comme de croissance, « une autre voie est possible ».
Kevin Denzler
Pierre-Yves Geoffard, Martine Durand et Dominique Méda intervenaient dans une conférence intitulée « Voulons nous vraiment plus de croissance ? », au même titre que Sylvie Goulard, sous-gouverneure de la Banque de France et de l’inspectrice générale des Finances Michèle Debonneuil. Un débat organisé par l’Association française de science économique (AFSE) et conduit par Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’INSEE.