
Oubliez le bitcoin, la blockchain a des milliers d’autres applications! La technologie blockchain, née avec le bitcoin en 2009, est souvent assimilée à un obscur outil informatique servant à obtenir ou échanger des cryptomonnaies entre initiés. Lors d’une conférence des Journées de l’Economie, animée par Morgane Remy, d’autres utilisations de cette technologie ont pourtant été présentées : cet outil pourrait même vous permettre, dans quelques temps, de vérifier la traçabilité de votre cuisse de poulet. Explications.
La blockchain, c’est quoi ?
La définition technique d’une blockchain, traduisez « chaîne de blocs », est la suivante : « technologie de stockage et de transmissions d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe de contrôle ». Pour Morgane Remy, qui anime la conférence « La blockchain au-delà des cryptomonnaies » au siège de la compagnie de complémentaires santé Apicil, c’est plutôt un « nouveau langage ». Qui ressemble parfois à du chinois.
La blockchain est en fait une base de données commune, décentralisée et pratiquement impiratable. Tout le monde peut y apporter des contributions, qui sont immuables. La blockchain pourrait donc être comparée à une sorte d’immense registre auquel chacun de ses utilisateurs aurait accès et auquel chacun pourrait contribuer, mais où les informations ne peuvent être modifiées. L’historique des échanges, certifiés de pair à pair sans serveur central, permet de connaître exactement l’origine des données.

Quels sont les avantages de cette technologie ?
L’immuabilité et la transparence des données sont deux des avantages majeurs de la blockchain. Dans le domaine des droits d’auteurs, cette technologie pourrait par exemple permettre à un photographe de revendiquer la paternité d’une image, sans que personne ne puisse le contester. Un autre point fort de la « chaîne de blocs », c’est qu’elle est pratiquement inattaquable par des pirates. Et plus il y a d’utilisateurs de la même blockchain, moins elle est facile à hacker. « Le meilleur exemple reste celui du bitcoin, il existe depuis dix ans et sa blockchain n’a jamais été piratée », explique Richard Baron, maître de conférences en informatique à l’université Jean Monnet de Saint-Etienne. « Pour ce faire, il faudrait que les pirates possèdent plus de la moitié de la puissance de calcul dédiée à une blockchain. C’est impossible. » Concrètement, il faudrait que les hackers achètent plus de la moitié des ordinateurs qui travaillent à certifier les informations contenues sur une blockchain, ce qui représenterait des sommes financières astronomiques.
Un autre avantage de cette technologie est « l’horizontalisation » des échanges. Décentralisé, le « registre » implique de travailler sur des projets de pair à pair, donc d’égal à égal. « On pourrait même imaginer, peut-être, supprimer les intermédiaires qui se targuent d’êtres des acteurs de la désintermédiation, comme AirBnB ! » rêve Richard Baron. « Les particuliers pourraient se mettre tout seuls en relation, via la blockchain. »
Quelles sont les applications concrètes de cette technologie ?
La technologie blockchain appliquée à d’autres secteurs que les cryptomonnaies n’existe d’ailleurs plus seulement sur le papier. Carrefour, pionnier en Europe, développe une blockchain utilisée dans l’alimentaire, afin de garantir la traçabilité de ses produits. Le consommateur pourra, via une application, scanner un QR Code présent sur l’emballage d’un produit _ par exemple un poulet d’Auvergne _ et obtenir des informations sur le producteur, son exploitation, ou encore les dates de fabrication et d’expédition.
Malte a, lui, été le premier pays du monde à adopter un système de certification des diplômes utilisant la blockchain. Chaque employeur – et chaque citoyen – pourra vérifier la validité des diplômes de ceux qui s’en revendiquent détenteurs.
Mais cette technologie pourrait également permettre de régler des conflits. Plusieurs pays sont intéressés par la blockchain pour y stocker leur cadastre notamment. Au Ghana, l’ONG Bitland œuvre actuellement à enregistrer les titres de propriétés sur la blockchain pour résoudre les conflits fonciers.

Quels sont les inconvénients de la blockchain ?
Mais cette technologie est loin d’être parfaite. Le premier reproche fait à la blockchain est son besoin en énergie. « Pour que les informations sur la blockchain soient certifiées, il faut que des machines, qui utilisent une grande force de calcul, résolvent des problèmes très complexes mais totalement factices : leur résolution ne sert qu’à donner le droit à un mineur (un utilisateur/vérificateur de la blockchain) de certifier l’information », explique Richard Baron. « Il faut donc que des ordinateurs calculent en permanence, ce qui dégage énormément de chaleur, et nécessite des climatisations », ajoute-t-il. Plus la blockchain sera utilisée, plus il faudra installer de « fermes de minage », c’est-à-dire des salles où sont entreposées ces serveurs qui calculent en permanence.
Mais pour Fabien Aufrechter, directeur d’Havas Blockchain, cet impact environnemental est maximisé. « Le visionnage de vidéos en ligne aussi « pollue » énormément. Est-ce qu’on se demande pour autant s’il faut supprimer les serveurs qui contiennent de la pornographie ? » demande-t-il.
Demain, toutes nos informations seront-elles stockées dans la blockchain ?
Fabien Aufrechter rappelle que cette technologie en est encore à ses débuts. « La blockchain ne va pas supprimer les intermédiaires tout de suite. Mais elle va représenter une transformation digitale. », assure-t-il. Autre intervenante à la conférence, Amélie Favreau, maître de conférences en droit privé à l’université de Grenoble, rappelle que la définition de la blockchain dans le droit reste pour l’instant « fonctionnelle et financière ». « Les smart contracts [en quelque sorte la traduction informatique d’un contrat traditionnel, qui s’exécuterait automatiquement] que permettent la blockchain en restent à leurs balbutiements : on ne peut transcrire l’intégralité d’un contrat en langage informatique », ajoute-t-elle. Aussi, certaines transactions ne peuvent pour l’instant se faire sans intermédiaire, comme le laisse rêver la blockchain : un transfert de propriété nécessite toujours l’aval d’un notaire.
« La blockchain pose aussi des questions quant aux données personnelles », soulève Richard Baron. « Car même si, avec cette technologie, tout se fait via des adresses a priori anonymes, on peut remonter aux personnes qui émettent l’information. »
La blockchain, technologie de demain ou scénario à la Black Mirror ? En Chine, le Parti Communiste vient d’ouvrir une application où ses membres sont encouragés à enregistrer, via une technologie blockchain, les raisons de leur adhésion au parti. Pour toujours et à jamais sur ce grand registre qui ne connaît pas le droit à l’oubli.
Tiphaine Niederlaender