Le prix de la désinformation

La désinformation prend une place de plus en plus importante dans notre société.

Popularisée par Donald Trump, l’expression « Fake news » fait désormais partie de notre quotidien. Même si le phénomène de désinformation n’est pas récent, les fausses informations ont de plus en plus un coût économique non négligeable. A la fois pour ceux qui les diffusent…et pour ceux qui luttent contre les fake news.

Avec la place prépondérante du numérique dans notre société, les enjeux de la désinformation ont évolué. « Elle a toujours existé, simplement, aujourd’hui, avec les réseaux numériques qui la distribue plus vite et plus facilement, le phénomène est amplifié » avance Henri Isaac, directeur du Master Télécoms & Médias à l’université Paris-Dauphine PSL.

Les réseaux sociaux ne se considèrent pas comme des médias, mais comme des intermédiaires de l’information. Ces plateformes sont d’ailleurs majoritairement financées par les publications sponsorisées, à hauteur de 80% pour Facebook par exemple. Plus un contenu est relayé et partagé, plus il génère des recettes. « Cette guerre informationnelle bénéficie en premier lieu aux sites de fausse information qui gagnent de l’argent grâce à la publicité qui s’affiche sur leur site. Le système de commercialisation de la publicité digitale, fait qu’on achète une audience et pas un espace », détaille Henri Isaac. Ce processus de filtrage par affinités est particulièrement efficace pour la diffusion des fake news. « Il existe des mécanismes qui font qu’une info sensationnelle, même si elle est fausse, génère du clic et donc de l’audience et évidemment de l’argent, poursuit Henri Isaac. On touche aussi la limite entre sensationnel et faux pour attirer de l’audience. »

L’enjeu financier de l’information sur les réseaux sociaux

Ainsi, de nombreux sites sensationnalistes, comme dreuz.info, proposent leurs services à des pages Facebook. La propagation des fausses nouvelles génère alors du profit pour trois ensembles : la page Facebook qu’un site paie pour y intégrer ses contenus, le site sensationnaliste dont les contenus provoquent des “clics”, et enfin l’hébergeur, Facebook, qui fait payer la mise en avant de contenus sur les fils d’actualité au même titre que des encarts publicitaires. Selon la CNBC, au premier quadrimestre de 2017, Facebook a gagné 7.86 milliards de dollars en revenus publicitaires, en hausse de 51% par rapport à l’année passée. Selon plusieurs médias, dont le Wall Street Journal et Business Insider, Facebook devrait dévoiler que jusqu’à 126 millions d’Américains ont pu visionner des contenus mis en ligne par des intérêts russes dans le but d’influer les élections américaines. Ainsi, selon Up Magasine, à l’occasion des élections américaines, les générateurs de Fake News ont engrangé 5 000 € par mois en Macédoine, et jusqu’à 30 000 $ aux États-Unis.

Des sanctions juridiques

Face à l’explosion du phénomène, que dit la loi ? En France, la désinformation est un délit de droit pénal depuis deux siècles. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, initialement prévue à destination des médias, permet tout à fait de traiter le délit de fausses nouvelles, notamment « susceptibles de troubler la paix publique », la diffamation, l’injure, ainsi que le détournement d’informations. Selon le texte existant, « la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros ».

En décembre dernier, la nouvelle loi sur les « Fake news » a vu le jour. Elle permet notamment à un élu ou un citoyen de saisir dans les trois mois précédents une élection et jusqu’à la fin de cette dernière, un juge pour faire cesser la diffusion d’une infox. Le magistrat devra décider en 48 heures si cette information est « manifestement fausse et diffusée de manière délibérée, massive et artificielle ». Les réseaux sociaux devront être plus transparents sur l’origine des messages sponsorisés, et dire qui a payé et combien pour en booster la diffusion. Dernier point : le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) peut faire cesser la diffusion sur le territoire français d’une chaîne de télévision étrangère soupçonnée de manipulations.

La lutte économique contre la désinformation

Outre l’arsenal juridique, certains acteurs du marché tentent de réagir. Ainsi Facebook a lancé son propre outil de fact-checking, autour de quatre axes : faciliter les signalements par les utilisateurs, travailler avec des organisations tierces compétentes dans la vérification des informations, indiquer au grand public les informations contestées et limiter les gains financiers pour les auteurs de fausses informations. Facebook a notamment modifié son algorithme de filtrage, pour ne plus prendre en compte la seule popularité des contenus mais également leur source. Même initiative chez Google, qui a modifié son algorithme pour appliquer un label aux sites considérés comme fiables.

Les médias traditionnels tentent eux aussi de mettre en place de nouveaux outils pour lutter contre la désinformation. Le plus connu demeure celui de l’AFP, mais pour Henri Isaac, ces derniers manques de moyens humains et surtout, pâtissent d’une perte de confiance (Selon La Croix, Le niveau de confiance dans la télévision s’effondre à 38 %, la presse écrite tombe à 44 % et même la radio baisse, à 50 %) semble condamner les médias traditionnels.  « Les médias dans la période actuelle, doivent revenir à des fondamentaux. Leur adaptation dans ce nouveau contexte de l’information est trop lente, du coup ils perdent des recettes et des personnes. Ils n’ont donc pas les moyens de lutter. Ce n’est plus simplement un enjeu économique, mais une question de modèle fondamental, si les individus ne croient plus dans les médias, c’est grave. »

Paul Ruyer

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