
Une nouvelle présidente à la tête de la BCE ! Depuis le 1er novembre, Christine Lagarde a succédé à Mario Draghi. Mais ce mercredi après-midi aux Jéco, les débatteurs de la conférence « Les défis de la politique monétaire » se sont davantage penchés sur le passé récent que sur l’avenir. Et pour tous, une évidence : la stratégie monétaire européenne a permis d’éviter le pire, après la crise grecque de 2008.
« Les Etats-Unis, après avoir unifié leur monnaie, ont mis 130 ans pour la stabiliser. En Europe, avec l’euro, on a vécu en 10 ans ce que les Américains ont connu sur plus d’un siècle », constate Anne-Laure Delatte, directrice adjointe du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). C’est dire si l’Europe et sa zone euro ont été mises à mal au cours de la dernière décennie. Quand débute la crise de la dette publique grecque en 2008, l’ensemble de l’Europe se demande si cela coïncide avec le retour de la dépression, phénomène déjà étudié dans les années 1930. « Les politiques mises en place par la BCE, au cours de ce choc, ont sauvé l’Europe de la catastrophe », développe Peter Praet, ancien membre du directoire de la Banque centrale européenne. A choc extraordinaire, politique monétaire extraordinaire et donc baisse brutale des taux d’intérêt. « La force de l’euro, en ces moments particuliers, réside dans le poids de sa banque centrale, qui représente bien plus de 50 millions de personnes », ajoute Laurence Boone, chef économiste de l’OCDE.
Une politique justifiée
Il faut dire que les choix monétaires sont limités, dans un contexte mondial de ralentissement de la croissance et une volonté partagée de ne pas relancer l’inflation. Résultat : le seul levier efficace est le « faible coût de l’argent » comme on disait autrefois. En clair, des taux d’intérêt très bas, afin de fournir des liquidités aux banques et de pousser les agents économiques à dépenser et à prendre des risques. Des mesures pour relancer l’économie, permises par le sommet de juin 2012 où les membres de l’UE se sont accordés pour créer un mécanisme de gestion de crise financière. Cela a permis de stabiliser les prix et d’éviter la déflation redoutée par les Européens. Sous la présidence Draghi, la BCE a également initié le « quantitative easing » (QE), cet « assouplissement quantitatif » accordant des taux négatifs aux banques pour les inciter à prêter aux ménages et aux entreprises, afin de soutenir l’économie en favorisant le crédit et l’emploi, alors que la faiblesse persistante de l’inflation ne permettait pas de faire remonter les taux directeurs (voir ci-dessous).

Le risque des bulles spéculatives
Une politique qui comporte tout de même des risques. En premier lieu les bulles spéculatives, notamment l’augmentation du prix des actifs immobiliers dans la plupart des grandes villes du monde. « On s’endette pour pas cher mais du coup le prix des actifs immobiliers augmente, créant une bulle immobilière », détaille Anne-Laure Delatte, directrice adjointe du CEPII. Une politique qui creuse donc les inégalités. « Un grand nombre de ménages ne sera jamais propriétaire. En revanche, le patrimoine de ceux qui possèdent quelque chose augmente », précise Anne-Laure Delatte. Des bulles qui ne touchent pas simplement les ménages. Mais aussi les entreprises pour qui le problème de la dette se posera à un moment. « Cela touchera à la fois les pays développés et émergents, sans oublier, les incertitudes qui montent avec la guerre commerciale et la politique de Donald Trump», conclut Anne-Laure Delatte.
L’avenir, justement, s’inscrit en pointillé. « La politique monétaire sait réagir a des chocs brutaux et soudains, en jouant sur la baisse des taux d’intérêt, estime Laurence Boone de l’OCDE. Mais elle ne sait pas le faire dans l’incertitude. » De nouveaux enjeux qui obligent à consolider l’architecture monétaire européenne. Christine Lagarde a devant elle, une feuille de route déjà bien remplie.
Paul Ruyer