
« Financer la transition énergétique » : le sujet était au coeur d’un débat, ce mercredi aux Jéco. Vaste débat tant les sommes en jeu semblent importantes : une note du gouvernement sur le budget 2020 estime qu’il faudrait 15 milliards d’euros pour mettre en œuvre la transition énergétique en France. Et pourtant, à bien y regarder, la montagne du financement ne sera peut-être pas si difficile à franchir…
Ce n’est pas une surprise, la transition énergétique demande beaucoup d’investissements. Néanmoins, ce niveau de dépenses n’est pas vraiment plus élevé que ce qu’il est nécessaire d’engager pour maintenir le fonctionnement du système actuel, riche en énergies fossiles. C’est ce que constate Thomas Pellerin-Carlin, directeur du centre énergie de l’Institut Jacques Delors, un think tank européen.
Des dépenses supplémentaires à hauteur de 1% du PIB de l’UE
Son propos repose sur un rapport de la Commission européenne dévoilé en novembre 2018. « L’un des scénarios proposés explique qu’il faudrait dépenser 1 366 milliards de plus par an entre 2031 et 2050 pour financer la transition. Un delta faible et des efforts faisables puisque cela ne représente que 1% du PIB de l’Union européenne », explique-t-il.
Raisons de plus d’investir : le coût des énergies renouvelables a significativement baissé au niveau mondial — le solaire photovoltaïque coûte six fois moins cher qu’il y a quinze ans, l’éolien trois fois moins — et le basculement vers des énergies vertes permettrait de gagner en indépendance énergétique. Un point positif pour les balances commerciales des Etats membres, qui achèteraient moins d’énergies fossiles à l’Arabie Saoudite ou à la Russie. Enfin, passer du marron au vert permettrait de réduire les dépenses de santé pour assurer la stabilité de la Sécurité sociale. « La pollution de l’air cause des maladies et tue chaque année 400 000 Européens dont 40 000 Français », assure Thomas Pellerin-Carlin.
Des enjeux spécifiques à la nature des énergies vertes
La transition énergétique bénéficie déjà d’une politique de soutien public. Désormais, pour Nicolas Berghmans, chercheur en politiques climatiques et énergétiques à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), il y a un triple enjeu. « Il faut réussir à intégrer la transition à des secteurs de production énergivores comme les transports ou l’industrie lourde, mener davantage les actions au niveau local et trouver une formule qui permet de mieux associer les citoyens », résume-t-il.
En fait, il faut repenser l’organisation énergétique dans son ensemble car les fournisseurs et les investissements sont de fait différents dans l’énergie verte. « Faire fonctionner des pipelines et engager des gros montants, on sait faire. Ce qui est difficile, c’est que, lorsqu’on exploite des énergies vertes, on parle de micros projets atomisés avec des petits montants », décrit Thomas Pellerin-Carlin.
A la Banque de France, on anticipe cette transition sous un autre angle. « Les banques centrales ont un mandat de stabilité financière face aux risques. Or, si on mène toutes les actions pour mettre en œuvre l’Accord de Paris, mécaniquement, des entreprises qui exploitent les énergies fossiles vont perdre énormément de valeur. Le risque climatique est un risque financier », développe Morgan Després, du pôle stabilité financière. « Notre mission est de trouver comment on transfère les capitaux et comment on gère les risques. » Or, cela implique deux grosses difficultés. « Déjà, l’horizon temporel de la transition est inhabituel : on fait des prévisions à 10, 20, 30 ans. En général, dans le secteur bancaire, on étudie les risques à un ou deux ans. On n’a pas encore l’outil analytique, pose-t-il. Ensuite, on ne sait pas quelle trajectoire va prendre la transition énergétique. Progressive, brutale ? Y aura-t-il des innovations ou des décisions politiques qui changeront la donne ? Difficile de le prévoir. »
Elodie Vilfrite