
Le décalage entre mesure et perception du niveau de vie des ménages s’est accru depuis la crise de 2008. Mercredi après midi, ce constat a fait l’objet d’un débat aux Jéco de Lyon. Retraités et étudiants étaient venus en nombre écouter l’analyse de ce phénomène par quatre économistes ou professeurs en économie.
A peine installé sur scène, le modérateur Adrien de Tricornot, du média économique Xerfi Canal, interpelle l’assistance et met le doigt sur le problème. « Qui estime que son niveau de vie a baissé depuis plusieurs années ? » Dans le parterre, une trentaine de mains se lèvent. En majorité des retraités, qui composent les premiers rangs de la salle Molière. L’enjeu est donc posé : comment expliquer ce pessimisme d’une partie de l’opinion publique alors que les chiffres du pouvoir d’achat pour l’année 2019 sont excellents, avec une hausse prévue supérieure à 2 % selon la Banque de France ?
Les outils de mesure du pouvoir d’achat sont imparfaits
Il faut rappeler que la mesure du pouvoir d’achat est une réalité objective, à l’échelle nationale, et elle ne reflète pas l’individualité des ménages. Didier Blanchet, directeurs des études statistiques à l’INSEE et initiateur de cette rencontre, reconnaît ce décalage et livre une première préconisation : « Ce serait une erreur de ne pas prendre en compte le ressenti des ménages dans la mesure du pouvoir d’achat. D’une part c’est une réalité intéressante à interroger, d’autre part il permet d’interroger nos outils de mesure en cas d’écart. »

Pour sa voisine Florence Jany-Catrice, professeure d’économie à l’Université de Lille, le mouvement des gilets jaunes a remis en question les représentations des économistes sur le pouvoir d’achat. « Les gilets jaunes ont permis une remise en question du pouvoir d’achat par rapport aux indices officiels, indique-t-elle avant d’ajouter : Dans quelles mesures les individus ont le pouvoir d’achat ? Un composant de contrainte s’exerce sur un certain nombre d’entre eux, où le pouvoir devient devoir d’achat. » Autre point important relevé par la professeure d’économie : le flou ambiant autour de la notion de pouvoir d’achat, notamment sur la question des dépenses fixes ou pré-engagées, des coûts difficilement négociables à court terme par les ménages. « Aujourd’hui, les abonnement internet, les contrats mobiles sont considérés par de nombreux ménages comme des dépenses contraintes » éclaire Florence Jany-Catrice. En 2015, les dépenses contraintes représentaient plus de 30 % des dépenses des ménages. Soit deux fois plus qu’en 1960.
Impression pessimiste en lien avec le manque de mobilité sociale
La perception pessimiste du pouvoir d’achat n’est pas sans lien avec l’impression de hausse des inégalités. Clément Dherbecourt, chef de projets à l’institution économique France Stratégie, estime factuellement que les inégalités de niveau de vie ont baissé en France et atteignent un niveau inférieur à plusieurs pays européens. Mais il explique cette perception par un élément caractéristique de l’économie française : le manque de mobilité sociale. « Elle est beaucoup liée à l’éducation en France, où l’école produit des systèmes inégalitaires. » Le fort taux de reproduction sociale explique en partie le pessimisme des Français sur leur niveau de vie, l’impression que l’ascenseur social est en panne. Les chiffres vont dans leur sens : un fils d’ouvriers n’a qu’une chance sur sept de faire partie des revenus élevés.
A cela s’ajoute l’inégalité des chances en termes de territoire. « Ce sont les mêmes bassins économiques qui sont défavorisés depuis vingt ans« , remarque Clément Dherbecourt. Et même si l’État œuvre pour la redistribution des richesses depuis les années 1980, le système s’essouffle aujourd’hui. « Les gilets jaunes nous ont fait comprendre que les individus ne veulent pas être aider, qu’ils souhaitent davantage pouvoir vivre de leurs revenus. »
Irvin BLONZ