
Rencontre avec les grands économistes de demain. Quatre jeunes maîtres de conférences, invités aux Jéco, ont présenté leurs travaux. Exit les grandes analyses macroéconomiques, place aux études de terrain. Leurs résultats sont parfois surprenants.
- Dylan Glover : l’impact de la discrimination sur la performance au travail
L’Américain a étudié les a priori négatifs des managers sur les performances des employés issus de minorités ethniques. L’expérience se passe dans un hypermarché. Dylan Glover étudie les caissiers et leurs supérieurs directs. Les managers ont été soumis à un test d’association implicite ; sur un ordinateur, ils devaient associer le plus vite possible un prénom d’origine européenne ou nord-africaine avec le qualificatif de « bon » ou « mauvais » employé.
Certaines managers se sont avérés « biaisés » : ils associaient davantage les caissiers d’origine nord-africaine à des employés moins performants. Cette perception a des conséquences : elle se traduit par moins d’interactions entre ces managers et leurs employés issus de minorités, qui dans cette configuration, deviennent moins performants : « Lorsqu’on est moins supervisé, on a moins de chances que nos efforts soient reconnus et donc on en fait moins« , explique le professeur à l’INSEAD (école de commerce).
Cette discrimination se révèle être une prophétie auto-réalisatrice : » puisqu’elle fait baisser la productivité, elle confirme les a priori des managers. Cependant, à l’inverse, lorsqu’un caissier d’origine minoritaire travaille avec un supérieur non biaisé, on observe qu’il est plus performant que la majorité ethnique« , expose le chercheur.
- Eva Raiber : au Ghana, quelle relation entre don religieux et mécanismes d’assurance ?
La maîtresse de conférence à l’Aix-Marseille School of Economics a observé qu’au Ghana, même si les individus étaient pauvres, ils donnaient une part significative de leurs revenus à l’Eglise. A défaut d’avoir souscrit à une assurance (santé, automobile, habitation…), les fidèles ne chercheraient-ils pas un moyen de s’assurer par la foi ?
En menant une expérience sur deux groupes de fidèles (l’un pour qui un contrat d’assurance a été souscrit, l’autre pas), elle a réalisé que les assurés donnaient 10% de moins que les autres à l’Eglise. Il y a donc corrélation.
La chercheuse l’explique ainsi : » Les fidèles perçoivent l’Eglise comme un système d’assurance alternatif. Il y a une croyance dans un Dieu interventionniste : si je donne à l’Eglise, Dieu empêchera qu’il m’arrive malheur. Aussi, il peut y avoir l’idée qu’en donnant, et donc en se faisant remarquer dans la communauté, les autres membres se mobiliseront financièrement pour m’aider s’il m’arrive quelque chose. »
- Arnaud Philippe : l’influence des normes sociétales sur les décisions de justice
Le lecturer de l’université de Bristol a mené plusieurs recherches liées à la criminalité. Il s’est notamment demandé si une norme sociétale comme l’anniversaire avait une influence sur la peine prononcée. « J’ai étudié des décisions de tribunaux de grandes instance (TGI) entre 2002 et 2014. Et effectivement, il y a une corrélation. Lorsque le prévenu fête son anniversaire le jour de l’audience, il bénéficie d’une peine plus courte qu’à J-1, 2, 3… » Un résultat qu’il a observé en France comme aux Etats-Unis.
Autre question sur laquelle s’est penché l’universitaire : les préférences des juges diffèrent-elles de celles des Français ? L’étude a été menée à partir d’une expérience aux TGI de Dijon et de Toulouse en 2012 introduisant des citoyens jurés. Résultat : les peines prononcées par ces tribunaux expérimentaux ne sont pas plus fermes que celles des TGI classiques.
- Camille Terrier : les algorithmes d’affectation dans l’Education
Dans un contexte où le monde de l’éducation est en crise, Camille Terrier s’est intéressée aux problèmes d’affectation. « Seuls 43% des enseignants qui demandent un changement d’académie obtiennent cette mobilité », explique la maîtresse de conférence à HEC Lausanne. Un faible taux qui a des conséquences sur le bien-être des professeurs de collèges et lycées.
Aussi, certaines académies peinent à attirer. Trois d’entre elles concentrent la moitié des demandes de mobilités annuelles (Créteil, Versailles, Amiens). Alors, comment augmenter cette mobilité sans vider ces zones ? Avec la mise en place de nouveaux algorithmes. L’un de ceux qu’elle a proposé a réussi à augmenter de 30% la mobilité tout en tenant compte des académies les moins attractives.
Elodie Vilfrite