
Entre inquiétude et ras-le-bol, depuis quelques mois, les démissions se comptent en millions pour la frange la plus précaire des travailleurs américains. A l’occasion de la conférence « Réinventer la politique économique après la crise Covid », les intervenants se sont demandés si cette vague était en train de s’abattre sur l’Hexagone.
Le phénomène prend racine de l’autre côté de l’Atlantique. En août 2021, 4.3 millions d’Américains quittent leur poste, 20 millions depuis le début du printemps. Un chiffre record, résumé en trois mots : “The Great Resignation” (La Grande Démission). Début septembre, une étude de la Banque de France avançait 300 000 postes vacants en France, malgré plus de 5 millions de demandeurs d’emploi. Une des limites du rebond surprise des économies après le séisme de la pandémie. Et une problématique au cœur des questionnements de la conférence “Réinventer la politique économique après la crise Covid”.
Sur la scène de la Bourse du travail, les explications débutent à tribord avec le président de l’Ecole d’Economie de Paris. “Le rapport au travail a été profondément troublé par cette crise, avance Daniel Cohen. Les travailleurs n’acceptent plus ces conditions de précarité, de stress…” Et pour étayer ces “goulets d’étranglement”, notamment dans l’hôtellerie-restauration, il avance le sentiment dominant chez plus d’un Français sur deux : l’inquiétude.
“Mai 68 silencieux” ou problématique d’avant-crise ?
Une conclusion pour l’économiste : “On est peut-être en train de vivre un Mai 68 silencieux. Une économie qui repart très vite, mais avec des questions existentielles…”. Et selon lui, les leçons du passé restent les mêmes. Si le dialogue social ne suit pas, le risque de grandes désillusions et de staglflation plane.
De l’autre côté de la scène, le Gouverneur de la Banque de France doute de la traversée de l’Atlantique de la Grande Démission. Pas de doute pour François Villeroy de Galhau, “il y a une crise incontestable sur le recrutement”. Les 53% d’entreprises peinant à recruter en septembre en sont la preuve. Mais la France ne ferait pas face à ce choc existentiel, qui secoue et “européanise” la vision américaine du travail vers plus de protection sociale.
“Le premier frein avant la crise était déjà la difficulté de recrutement, affirme-t-il. Le Covid change le rapport au travail, mais l’offre à la destination des entreprises est insuffisante.” Plusieurs grands pas restent donc à faire pour le gouverneur : investir dans la formation, pour lutter contre la non qualification, et rendre le travail plus attirant en soignant le salaire et les conditions.
Pierre KRON