Nouvelle vie pour le collège Jean Lolive de Quatre-Chemins à Pantin. L’association Artagon qui accompagne artistes et professionnels de la culture en début de parcours, y pose ses valises pour investir une surface de 5000 m2. L’occasion pour les habitants du quartier d’aborder l’art différemment.
Le collège Jean Lolive n’a pas bonne mine de l’extérieur avec sa façade des années 70. On pourrait croire qu’il est à l’abandon. Pourtant quand on pousse la porte, c’est bien une atmosphère chaleureuse qui règne. Des collégiens jouent au babyfoot, les musiciens préparent le concert du soir, et les visiteurs déambulent dans les étages.
C’est l’inauguration de l’association Artagon, qui établit une résidence de 18 mois au sein du collège. Ce sont 25 artistes et 25 porteurs de projets qui profiteront des locaux pour travailler, mais aussi exposer des œuvres, performer, projeter des films ou organiser des rencontres avec les habitants du quartier. Les cibles priorisées restent les jeunes des quartiers populaires.
Devenu inadapté en raison du nombre croissant d’élèves, le collège a déménagé dans un batiment situé à proximité au printemps 2022. Pour Zora Zemma, élue en charge des services, de l’animation et de l’attractivité du territoire de Pantin, hors de question que l’établissement reste à l’abandon : « On refuse de se retrouver avec des lieux en attente qui ne servent à rien et surtout pas aux habitants du quartier. On n’imagine pas un lieu sans occupation temporaire, éphémère. »
« creer des outils pedagogiques » pour sensibiliser
Au rez-de-chaussé, le travail a déjà commencé. Dans un petit studio radio, la commissaire d’exposition Aurélie Faure enregistre une série de portraits des résidents sous la forme de podcasts de 15 min. On entend depuis le hall les sons des films projetés dans les salles de classes ouvertes.
Pour accéder aux étages, il faut emprunter une pente qui fait office d’escalier. Les noms des artistes sont affichés à l’entrée des salles de classe, souvent par deux. Des visiteurs affluent vers une porte qui indique « Bureaux partagés ». Plusieurs stands se partagent l’espace, les tables débordantes de prospectus. Au milieu, celui de Claire Der Hovannessian, médiatrice culturelle au sein du Bureau Indépendant de Médiation Culturelle, une des association porteuse de projet à Artagon. « On créé des outils pédagogiques comme des guides pour enfant avec des jeux et des textes pensés par des médiateurs et réalisés par des graphistes. Ça peut aussi prendre la forme d’une bande dessinée », explique Claire. Elle espère avoir des contacts plus directs avec les élèves : « On n’est pas encore intervenu dans les collèges ou les lycées, mais peut être qu’avec Pantin ça va se développer. »
Plus loin se trouve l’atelier de Seumboy Vrainom, 29 ans, créateur de la chaîne YouTube « Histoires Crépues ». Son travail consiste à vulgariser l’histoire coloniale sur Instagram, TikTok ou Twitch. Dans son espace de travail, livres et images d’archives se multiplient. De grandes unes jaunies du « Petit Journal » sont étalées sur la table. « Je dédie cet espace aux abonnés de la chaîne pour venir consulter des archives, réfléchir et analyser des images d’époque », explique-t-il. Il a compris l’omniprésence des espaces numériques : « Je pense qu’aujourd’hui on établi notre pensée sur des petits écrans. J’essaye de travailler cet espace comme une archive », relate-t-il avec un air grave. La transmission de son art, Seumboy la veut interractive : « je fais des conférences performées dans une salle avec un public en face. Les gens me voient derrière mon ordi en train de parler, et c’est diffusé simultanément sur un grand écran, comme un live Twitch. Ils ont à la fois accès aux coulisses et au résultat final. Dans ces lives je vais jouer à des jeux comme Edge of Empire 3, un jeu de conquête coloniale, et en même temps je vais diffuser des images d’archives sur l’histoire coloniale », développe-t-il. Le but ? Créer un discours sur une heure diffusé en ligne et plus accessible pour les jeunes qui fréquentent ces plateformes.

Parler différemment d’art dans les quartiers populaires

Au deuxième étage, Marilou Poncin, une artiste de 30 ans qui travaille la photo, la vidéo, la céramique et l’installation et Audrey Liebot, écrivaine, performeuse et réalisatrice d’installations de 37 ans, partagent leur atelier. Les espaces sont bien séparés en fonction de leurs univers. Marilou qui travaille sur les fantasmes à travers la mise en scène du corps féminin, a accroché sa collection d’images vintage érotiques. « C’est ma base de données de stéréotypes », dit-t-elle en riant. Elle recompose ces images avec des éléments de maquillage pour imaginer métaphoriquement ce que pourrait être l’intérieur des jeunes filles. « J’ai envie de travailler avec des élèves. Je me suis beaucoup interessée à l’adolescence, cet âge un peu charnière où les désirs et le rapport aux autres se définissent avec des formes de domination. C’est un moment clé dans la construction de son rapport au corps » explique-t-elle. Pour les sensibiliser, elle veut les impliquer : « Je veux mettre en place un atelier qui met en scène les stéréotypes pour les pousser à l’extrême. Avec l’humour, on démantèle beaucoup de schémas préétablis » sourit-t-elle.
Audrey écrit des poèmes et compose des playlists autour du temps qui passe. Elle est actuellement engagée dans un travail de recherche sur l’épidémie de VIH. Dans sa parcelle d’atelier, des fioles de chimistes jonchent le sol et des centaines de minuscules mots sont écrits sur les murs. « Je m’interroge sur la vulnérabilité autour du sida, qui détermine une manière de vivre, de faire et de voir les corps » précise-t-elle avec un air triste. « Avec les collégiens je procède avec de la pédagogie en vulgarisant mon travail. Certains m’ont dit que j’étais enquêtrice et ça ne me dérange pas. Avec eux je simplifie le plus possible les explications sur mon travail » poursuit-elle. « Je leur parle de choses qu’ils connaissent vraiment comme l’hôpital, pour qu’ils comprennent le rapport à la maladie. »
