Justice climatique : Les gros pollueurs peuvent-ils être condamnés ?


À l’heure où la lutte contre le réchauffement climatique est une priorité, les grosses entreprises s’affranchissent des textes législatifs environnementaux et continuent de polluer massivement. Avocats et juristes, spécialistes de la justice climatique, se battent pour faire condamner les pollueurs.

Des entreprises rejettent des fumées néfastes
IMAGES / REX FEATURES/REX/SIPA

Lafarge, TotalEnergies, Arcelor Mittal,… Emmanuel Macron reçoit cet après-midi à l’Élysée, les 50 représentants des sites industriels les plus polluants de France. Deux jours après le coup d’envoi de la COP 27 en Égypte, le chef de l’État revêt son costume de fervent défenseur de l’environnement. L’enjeu est crucial : les entreprises doivent accélérer leur décarbonation. À elles seules, elles représentent 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Mais à l’aube de cette réunion inédite, nombreux sont résignés face au comportement des entreprises polluantes. Des paroles, des engagements pris à la légère qui ne sont finalement pas respectés. Les solutions juridiques existantes permettent-elles de contraindre ces géants de l’industrie à limiter leur empreinte écologique ?

Des lois existantes mais une ineffectivité du droit environnemental français

Charte de l’environnement de 2004, Code de l’Environnement, Loi Climat et Résilience… en France, les textes législatifs visant à condamner les actes anti-climatiques ne manquent pas. Pourtant, ces lois peinent à être appliquées. Pour Caroline Depage, autrice de l’article Les véritables lacunes du droit de l’environnement, toute la faiblesse de la législation française réside dans son ineffectivité : « La question majeure est en effet celle de l’effectivité du droit existant, comme celle de son autorité par rapport aux autres droits, plus que de la nécessité de recourir à de nouvelles règles de droit. »

Un avis partagé par Louise Tschanz, avocate en droit de l’environnement. Dans un article paru sur le site du Point en juillet 2020, elle explique que « ce qu’il faut surtout, c’est donner les moyens nécessaires pour appliquer ce qui existe déjà, parce que nous avons déjà beaucoup de dispositions… » Selon elle, certains articles de loi n’ont tout simplement jamais été utilisés. Elle cite notamment « l’article L226-9 du Code de l’environnement, qui condamne à deux ans de prison et 150 000 euros d’amende, toute pollution atmosphérique ».

Comment expliquer ce constat ? Pour l’avocate spécialiste des questions climatiques, le manque de moyens et la pression exercée par les lobbies bloquent les avancées juridiques. Elle plaide pour « un service qui centralise les pollutions et les rend publiques, pour que les associations de protection de l’environnement puissent faire leur travail. » Malgré ces obstacles, des ONG composées d’avocats et de juristes se mobilisent et tentent d’inverser la tendance en montant des actions en justice, se basant sur les textes juridiques existants.

Une bataille sans relâche des ONG environnementales pour condamner l’inaction climatique

En matière de justice climatique, Notre Affaire à Tous, fait office de modèle. L’ONG créée en août 2015, et composée d’avocats et de juristes, n’en est pas à son premier coup d’éclat. En s’unissant avec Greenpeace, Oxfam France et la Fondation Nicolas Hulot, le collectif assigne l’État français en justice pour inaction climatique. Dans son brief juridique, l’association pointe du doigt les manquements à la Charte de l’environnement et demande réparation face « au préjudice moral subi, ainsi qu’au préjudice écologique ». Verdict implacable, décision historique. Le tribunal administratif de Paris condamne l’État français à réduire drastiquement ses émissions de CO2.

L’ONG a également engagé une action contre Total. Le 12 février 2021, l’entreprise surpuissante perd une bataille. Le Tribunal de Nanterre se déclare compétent à trancher le litige qui oppose la multinationale française et des ONG environnementales, Notre Affaire à Tous, toujours en tête de liste. Auprès du Tribunal, l’association brandit le droit à la vigilance. En vigueur depuis le 29 mars 2017 et extrait de la loi N°2017-339, le droit de vigilance oblige toutes les entreprises de plus de 5000 salariés « à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle. ».

À ce jour, aucune entreprise française n’a été condamnée pour inaction climatique. Notre Affaire à Tous compte bien suivre le modèle de ses homologues néerlandais. En mai 2021, le tribunal de La Haye condamne l’entreprise Shell à réduire de 45 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 10 ans. Une première mondiale qui incite les ONG environnementales à poursuivre leur combat pour la justice climatique.

Solène Cornu


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *