Alors que les majors de l’industrie sont reçus à l’Elysée aujourd’hui pour fixer les objectifs de décarbonation, les cabinets d’architectes ont depuis plusieurs années devancé ces attendus grâce à la notion du réemploi. Une technique qui vise à réutiliser les matières premières des bâtiments démolis pour de nouvelles constructions.

Alors que la COP27 se tient à Charm el-Cheikh en Egypte, Emmanuel Macron reçoit aujourd’hui à l’Elysée les dirigeants des cinquante sites français les plus pollueurs. Parmi eux: le géant du ciment Calcia et les leaders verriers Arc France et Saint-Gobain, soit des « majors » de l’industrie qui représentent 20% des émissions de gaz à effet de serre dans l’Hexagone. Une entrevue qui a pour but d’accélérer leur décarbonation pour atteindre le zéro carbone en 2030, d’après la directive du ministère de la Transition écologique.
« Le secteur du BTP est le plus gros producteur de déchets en France et en Europe. Il est également le plus grand consommateur de matière première non renouvelable. Les activités de construction, de réhabilitation et de démolition produisent 73% des déchets, soit 260 millions de tonnes par an »
Association Hesus
Mais alors que le président de la République prend des mesures à cet effet cet après-midi, d’autres entreprises, notamment située en bout de chaîne de production, ont pris les devants afin de tendre vers une production « bas carbone ». À l’image des architectes et autres entreprises du BTP, qui dépendent en grande partie de ces « majors » de l’industrie pour les matières premières, au grand dam de la flambée des prix, accentuée par leurs efforts futurs de décarbonation.

Le collectif Bellastock, à l’origine du festival d’architecture éponyme qui oeuvre à la conception et construction écologique d’une ville éphémère, est la pionnière dans l’hexagone a avoir développé une expertise du réemploi dans le domaine du BTP. Le phénomène de « réemploi » consiste en la récupération de matériaux de seconde main issus de la destruction d’un immeuble, afin de produire de nouvelles constructions sans faire subir de transformation importante à la matière première, à l’inverse du recyclage. Selon le collectif, « le réemploi est une alternative à l’extraction de matière première et à l’enfouissement de déchets ». Et surtout, permet de contourner l’augmentation massive des prix des matières premières décidées par les seules grandes entreprises du BTP, à l’image de Saint-Gobain et Calcia.
L’envolée marquée des prix
« La hausse des prix des matières premières n’est pas un phénomène nouveau. Il était présent bien avant la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine », expose Laure Pizay, architecte de profession et directrice de l’association Raediviva. Un collectif qui œuvre à la promotion de la filière du réemploi sur le territoire de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. « Aujourd’hui, la tendance des prix est effectivement à l’augmentation, qu’il s’agisse des transports dans le BTP ou de l’énergie qui sert à produire les matières premières », renchérit l’architecte qui a rejoint l’association en janvier 2022. Avant d’ajouter: « Arrêtons de payer aux prix forts et de jeter des matériaux viables. En faisant cela, on sature les centres d’enfouissement et d’incinération pour s’acheter des matériaux neufs et très chers », déplore la professionnelle en pointant du doigt cette « incohérence ».
« Le réemploi est la sobriété par excellence »
Laure Pizay, architecte et directrice de l’association Raediviva
« L’idée aujourd’hui est de massifier le réemploi de tous les matériaux, non pas seulement les cheminées nobles et les beaux parquets comme à l’époque », explique Laure Pizay, précisant que « le réemploi est une notion vieille comme monde. Par exemple, la basilique Saint-Pierre du Vatican a été construite à partir des pierres du Colisée ». Une pratique qui a disparu à l’avènement de l’ère industrielle au XIXe siècle et qui tend à réapparaitre progressivement chez les professionnels depuis les années 2010, soit « depuis la prise en compte plus importante des enjeux écologiques ».
« Le réemploi est une grande réponse à l’augmentation des coûts des cabinets d’architecture. Mais est une réponse d’autant plus importante à la crise climatique. C’est une pratique qui permet d’empêcher l’exploitation massive des carrières et les puisements du sable dans les mers. Le réemploi est la sobriété par excellence. Mais ce n’est pas l’intérêt principal des gros industriels qui cherchent seulement à gonfler leurs profits ».