
À l’approche d’une Coupe du monde de football critiquée, les bars organisent la résistance, portés par le collectif « Ramenez la coupe à la raison ».
Ce mercredi soir, le sélectionneur de l’équipe de France, Didier Deschamps, annoncera la liste des Bleus appelés pour le Mondial de football 2022 qui débutera le 20 novembre. Un événement sportif international d’ordinaire attendu par les passionnés du ballon rond, mais dont cette 22e édition se trouve sous le feu des critiques depuis des mois. Des milliers de morts sur les chantiers, des stades climatisés, exploitation des ouvriers… Des conditions d’organisation désastreuse du mondial au Qatar, d’ores et déjà qualifié de catastrophe environnementale et sociale.
Pour Antonin Lefebvre, comme 29% des Français (sondage Harris Interactive pour RMC), hors de question de suivre les rencontres, que ce soit derrière un écran ou dans des bars diffusant les matches. « On sort beaucoup et on a l’habitude de se retrouver dans les bars notamment lors d’événements sportifs, confesse-t-il. Cette fois-ci, on ne veut pas regarder, mais on s’est dit que ça allait être compliqué de l’éviter. » C’est donc autour d’une discussion qu’a émergé le projet « Ramenez la coupe à la raison » dont le slogan a été emprunté à la pétition de l’ONG Amnesty International.
De concert, Antonin et ses proches prennent alors l’initiative de créer un site internet avec pour ambition de recenser les bars qui refusent de diffuser les matches de la Coupe du monde. « Le but n’est pas d’appeler au boycott, nuance-t-il. On n’est pas des politiciens, on ne veut pas faire culpabiliser les gens. » Le collectif mise davantage sur la proposition « d’alternatives » pour encourager les gens à faire autre chose les soirs de rencontres.
Un manque à gagner pour les bars
À ce jour, plus d’une quinzaine de bars sont répertoriés sur le site internet du collectif. « Mettre en avant ces lieux permet aussi de combler leur manque à gagner à ne pas diffuser le mondial » détaille le responsable.
Le O’Mulligan’s, irish pub lillois, a rejoint le mouvement début octobre. Une décision « prise en concertation avec toute l’équipe » selon Justine, la gérante de l’établissement. « C’est pas anodin ajoute-t-elle, on sait qu’on aura un gros manque à gagner mais c’est un risque qu’on a voulu prendre. » Le pub a l’habitude de suivre activement les événements sportifs, mais ce mondial organisé par le Qatar n’est pas en accord « avec [leurs] valeurs humaines ».
« On a eu des débats en interne mais ça n’a été trop difficile de trancher », raconte Justine tout en relevant que la plupart de ses clients comprennent et soutiennent l’initiative. Le O’Mulligan’s anticipe déjà l’ouverture du mondial en diffusant des flyers dans lesquels sont indiqués les événements organisés les soirs de rencontres. Soirées à thème, karaokés ou rencontres plus symboliques viendront alors remplacer les traditionnelles diffusions de matches. Par exemple, l’association locale Carbonique interviendra pour animer un apéritif-jeux autour de questions environnementales.

Orchestrer des événements qui ont du sens, c’est également le souhait de Camille, à la tête du bistrot solidaire La nef des fous, dans le département de la Moselle. « Le foot est hyper populaire et les matches créent une ambiance chaleureuse et conviviale de partage. Mais cette année on fera l’impasse », tranche-t-elle. Consciente elle aussi de l’impact d’une telle décision sur le rendement de son établissement, elle réfléchit à l’élaboration d’activités différentes qui pourraient faire « un pied de nez » à la Coupe du monde.
Le collectif « Ramenez la coupe à la raison » se veut être une « vitrine pour les établissements ou autres lieux culturels/sociaux qui souhaitent promouvoir leurs soirées alternatives durant les soirs de match ». À sa création, le site démarche différentes entreprises pour leur proposer de rejoindre le mouvement. « Tout doucement, la balance s’équilibre et c’est finalement les bars eux-mêmes qui nous contactent de plus en plus », explique Antonin.
Originellement créé pour la Coupe du monde 2022, le collectif, même s’il souligne se concentrer sur le mondial, n’exclue pas de perdurer par la suite. « Il y a tellement d’autres aberrations » souligne Antonin. En témoigne l’annonce de l’organisation des Jeux asiatiques d’hiver en Arabie Saoudite en 2029… Sûrement une nouvelle occasion de ramener la coupe à la raison.