Carrefour, un des premiers employeurs privés de France, va ouvrir le droit à 12 jours d’absence par an pour ses salariées atteintes d’endométriose. Mais pour en bénéficier, elles devront faire diagnostiquer leur pathologie et obtenir la RQTH, le statut légal de travailleur handicapé.
Douze jours d’arrêt par an, soit un jour d’arrêt par mois : c’est ce que promet le groupe Carrefour à ses salariées souffrant d’endométriose. Comme l’annonce Le Parisien, le géant de la grande distribution va leur permettre de s’absenter sans perte de salaire. Contrairement aux arrêts maladie, les « jours endométriose » seront financés entièrement par l’employeur.
Objectif : mieux prendre en compte la réalité de cette maladie gynécologique très répandue. Selon l’Inserm, 1 femme adulte sur 10 est atteinte d’endométriose et 70% d’entre elles souffrent de douleurs chroniques invalidantes. D’où l’idée d’un jour de « congé », ou plutôt d’arrêt, pour les femmes concernées.
RQTH obligatoire
Mais le nouveau dispositif instauré par Carrefour n’est pas si inclusif : il ne sera accessible qu’aux personnes qui bénéficient du statut de travailleur handicapé. Si elles ne sont pas dans ce cas, les salariées devront donc faire reconnaître leur pathologie et déposer une demande spécifique à la MDPH.
Premier problème : obtenir un diagnostic d’endométriose n’est pas simple. L’association EndoFrance, qui regroupe et représente des personnes atteintes de la maladie, estime qu’il faut sept ans en moyenne pour qu’elle soit formellement identifiée chez les patientes.
Mais surtout, se faire reconnaître comme « travailleuse handicapée » n’est pas anodin. La sociologue Alice Romerio a mené une recherche de post-doctorat sur l’endométriose au travail. Elle explique que beaucoup de femmes interrogées ont un rapport ambivalent aux catégories de « malade » ou « handicapée » : « Certaines pourraient demander une ALD [affection de longue durée] ou une RQTH [reconnaissance de handicap], mais elles ne le font pas car elles s’inquiètent d’effets très concrets sur leur vie quotidienne : pour leur crédit bancaire, leur assurance, leur carrière… ».
Par ailleurs, l’endométriose peut prendre des formes plus ou moins invalidantes, et des femmes qui voudraient obtenir une RQTH peuvent ne pas y être éligibles. Bref : toutes les concernées ne peuvent ou ne veulent pas forcément faire la démarche de devenir « travailleuses handicapées ».
Peur de la stigmatisation
Souvent, le frein à des politiques plus souples est la crainte des abus. « Mais en fait, détaille Alice Romerio, il y a beaucoup plus de non-recours. Les femmes craignent d’être stigmatisées et que leur endométriose nuise à leur carrière ». Elles vont donc préférer venir au travail malgré les douleurs et ne pas mentionner leur pathologie. Dans l’enquête Endo Travail qu’elle a menée en 2020, Alice Romerio conclut que 80% des femmes atteintes d’endométriose ont des réticences à demander un arrêt de travail pour ce motif. Pas seulement en raison de la perte de salaire, mais parce qu’ « il y a une gêne et un sentiment d’illégitimité à demander un arrêt, d’autant plus que la maladie est mal connue ».
Une réticence qui s’inscrit dans une tendance générale au présentéisme en France. « On vient au travail même quand on n’est pas en bonne santé, parce que c’est mal vu de pas le faire, assure la sociologue. Les femmes ont souvent peur de passer pour celle qui est plus faible, celle qui n’assure pas. » D’autres ont déjà constaté qu’elles n’avaient pas eu telle prime ou telle promotion, qu’elles considéraient méritée, en raison de leurs absences.
Bientôt une loi ?
La réponse pourrait-elle passer par un cadre législatif ? Pour l’instant, les initiatives comme celle annoncée par Carrefour dépendent de la bonne volonté des employeurs. Mais un « congé menstruel » pourrait bientôt devenir obligatoire dans toutes les entreprises. Dans la proposition de loi qu’ils espèrent déposer le 26 mai prochain, des députés écologistes défendent treize jours d’arrêt par an, sans perte de salaire, une simple ordonnance médicale faisant foi.
Ce type de « congé » pourrait s’appliquer à toutes les douleurs liées aux règles, au-delà de la seule endométriose. « Nous avons aussi les fibromes, le syndrome des ovaires polykystiques, et j’en passe ! », rappelle Virginie Rio, cofondatrice du collectif BAMP, dans les colonnes du Parisien. Selon le baromètre 2022 de l’association Règles Elémentaires, 30% des femmes ont déjà manqué le travail à cause de leurs règles.
Solène Cazenave