
L’exposition « 7.1. Obvious » bouscule le petit monde des galeries d’art contemporain. Les artistes s’emparent du numérique et de l’algorithmique. Datant des années 60-70, l’art génératif a trouvé un nouvel essor en ligne.
Une végétation luxuriante. Des couleurs vives. Des centaines de colonnes soutenant la structure d’une des sept merveilles du monde antique. Ce n’est pas le pinceau d’un artiste qui l’a réalisé mais un ensemble de lignes de code. Les Jardins suspendus de Babylone créé par le collectif Obvious sont exposés à la galerie parisienne de Magda Danysz jusqu’au 14 janvier. C’est une des sept œuvres physiques réalisés par le collectif français. Toutes ont deux particularités. Elles appartiennent au courant de l’art génératif et sont disponibles sous forme numérique. « C’est une œuvre générée par un algorithme contrôlé par un humain« , détaille Pierre Fautrel, un des trois Français du collectif. Il y a cinq ans, Pierre Fautrel, Gauthier Vernier et Hugo Caselles-Dupré, ont déjà fait la une des médias avec leur œuvre Edmond de Bellamy. Celle-ci s’était vendue pour 432 500 dollars au sein de la maison de vente aux enchères de luxe Christie’s à New York. Une première pour une oeuvre d’art générée par une intelligence artificielle.

1 œuvre parmi 3 000
Depuis, l’art génératif ne cesse de faire des émules sur le marché de l’art numérique. En effet, une œuvre d’art générative peut avoir une infinité de possibilités. « Pendant un an et demi, nous avons testé trois algorithmes pour réaliser les septs merveilles du monde antique. Pour chaque œuvre présentée à la galerie, 3 000 versions différentes ont été réalisées numériquement« , se souvient Pierre Fautrel. Le processus de création s’appuie sur des centaines d’essais et d’erreurs avant d’obtenir le rendu final. L’artiste code et génère des milliers de versions de sa création, puis il parfait son programme jusqu’à atteindre une série d’oeuvres qui lui plaît. Les collectionneurs acquièrent alors une ou plusieurs éditions uniques de la série. C’est notamment le cas de la série des Allégories booléennes de Julien Espagnon.
« C’est une œuvre générée par un algorithme contrôlé par un humain«
Pierre Fautrel, un des trois Français du collectif Obvious.
Pourtant, seul Hugo Caselles-Dupré, doctorant à l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (ISIR) travaille sur l’intelligence artificielle et aucun des trois n’a étudié aux Beaux-Arts. Tous apprennent à coder de manière créative par eux-mêmes. Un artiste d’art génératif programme son algorithme de A à Z, que ce soit avec ou sans intelligence artificielle. L’une des pionnières du genre est Vera Molnar, une peintre d’origine hongroise, qui réalisait ses créations grâce aux premiers ordinateurs dans les années 1970. Connue sur le tard, elle reste une source d’inspiration pour les adeptes d’art génératif. La Galerie Danysz fait figure d’exception. Il est difficile pour ce courant artistique de s’exposer en galerie lorsque un artiste propose 200 à 300 versions d’une œuvre. Dans la grande majorité des cas, ces dernières restent à l’état numérique.

Un marché de l’art 2.0
Pour répondre à ce problème, des plateformes numériques se sont lancés sur ce créneau. Art blocks, est, sans doute, LE site Internet de l’art génératif. Créé par l’Américain Erick Calderon, aussi connu en tant qu’artiste sous le nom de @Snowfro, la plateforme propose d’acheter plusieurs versions d’une même œuvre d’art. Fini le temps de la transaction en maison de ventes aux enchères ou en galerie. Désormais, n’importe qui peut acheter une production artistique et recevoir son certificat de propriété, d’unicité et de traçabilité dans la foulée. Acquérir une oeuvre numérique est devenu un jeu d’enfant, à condition d’y mettre les moyens.
La spéculation se fait forte sur le marché. « On est en train de financiariser le monde de l’art« , estime Brian Beccafico, analyste de l’art numérique au sein de l’hôtel de vente Sotheby’s Paris. Lui-même collectionneur sous le nom d’@Arthemort, il reconnaît que sur certaines plateformes comme SuperRare, les prix sont très élevés. Par exemple, le célèbre artiste Dmitri Cherniak a réalisé 1.000 versions de son œuvre Ringers. Des points jaunes ou blancs, des carrés et des triangles noirs, des formes biscornus, aucune ne se ressemble mais toutes sont issues du même algorithme. Ces créations se vendent entre 60 et 1234 ethers [ndlr l’ether est une monnaie virtuelle], soit entre 70 000 euros et près de 1,5 millions d’euros, sur la plateforme Opensea. Déjà vendus, ces derniers appartiennent à des collectionneurs qui fixent les prix en fonction de la rareté d’une couleur ou d’une forme parmi les 1 000 versions.

Des sommes conséquentes qui ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Julien Espagnon, artiste de l’art génératif et collectionneur a tristement constaté que « le prix des oeuvres d’art lors des reventes est inaccessible« . Lui, préfère acheter les productions artistiques à leur sortie. Son but n’est pas de revendre pour gagner de l’argent. « Pourtant, c’est ce qui arrive souvent. J’établis des listes de réservations pour que les collectionneurs qui suivent mes projets puissent obtenir une de mes œuvres car sinon, ce sont des bots qui achètent tout à prix bas et revendent cher par la suite« , déplore-t-il.
Une spéculation déjà connue dans le monde de l’art contemporain. Nathalie Moureau, chercheuse à l’université Paul Valery de Montpellier, précise que « le marché de l’art contemporain est étroit. Donc, les maisons de vente et les galeries s’intéressent au numérique« . « Natively Digital 1.3. Generative Art » de Sotheby’s, la plateforme de vente Christie’s 3.0, l’exposition 7.1. Obvious à la Galerie Danysz, etc. Les ventes d’art génératif se multiplient. Les hôtels de vente et les galeries ont senti le filon.
Audrey GUETTIER