
À l’Assemblée nationale, le groupe de Marine le Pen veut achever sa normalisation. La tentative a échoué en proposant deux textes consensuels lors de sa niche parlementaire, mais causé l’embarras de la NUPES.

L’Assemblée nationale est l’un des plus vieux théâtres de Paris. Où 577 acteurs – députés – y jouent leur rôle de législateur. Mardi 6 décembre, s’y tient la nouvelle pièce du Rassemblement national. Intitulée « passer au-dessus des fractures partisanes ». La présentation de la niche parlementaire du groupe récupère deux propositions de lois, issues de l’opposition, que le groupe veut défendre le 12 janvier prochain. Celle d’abord, sur la réintégration des soignants non-vaccinés portée par l’insoumise Caroline Fiat. L’autre de Valérie Létard, instaurant une aide universelle d’urgence pour les violences conjugales. Consensuelles à première vue. Olivier Marleix, président du groupe Les Républicains à l’Assemblée explique d’ailleurs en conférence de presse que « s’il y a des textes utiles aux Français [ dans la niche RN ], on les votera. Pas d’ostracisation ».
La gêne du groupe LFI
C’était sans compter sur la NUPES. À 10h30 se tient une conférence de presse LFI, consacrée au projet de loi sur les énergies renouvelables, débattu en ce moment dans l’hémicycle. Mais la planche savonnée par Marine le Pen une heure plus tôt est glissante.
Vont-ils voter cette proposition de loi, à l’origine déposée par leur collègue Caroline Fiat, ou s’opposer car le RN l’a reprise, interroge une journaliste ? Malaise palpable sur la scène. « Le gouvernement est coupable de cette récupération perverse et opportuniste » peste le député Matthias Tavel. « Nous devons en discuter rapidement » lance Clémence Guetté. L’attachée de presse met fin aux questions. Les concernés s’enfuient. Prélude d’une victoire pour le RN ?
Une normalisation inachevée
Pas si vite. En coulisses, la riposte s’organise. Le politologue Benjamin Morel reconnait une « stratégie intelligente » d’aller reprendre cette proposition de Valérie Létard, déjà adoptée au Sénat. L’occasion d’ « avoir une victoire, qui n’est pas la vôtre, mais n’aurait pas eu lieu sans vous ». Parachèvement espéré de la normalisation pour un parti encore en quête de respectabilité. « Cela en dit beaucoup sur la manière dont ils sont perçus par leurs adversaires : si cela avait repris par le PS ou même LFI sur son espacé réservé, cela n’aurait posé de problème à personne ».
Dans l’après-midi, la conférence des présidents de l’Assemblée qui fixe chaque semaine le programme de l’Hémicycle – où siège Marine le Pen – est réunie. La création d’une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales sera inclus dans la semaine parlementaire. Pas dans la niche du groupe. Perdu pour perdu, le député RN Emmanuel Taché de la Pagerie qui devait porter le texte sauve les meubles. « En faire notre premier texte de niche parlementaire a servi d’accélérateur à son étude dans l’hémicycle ».
La colère de l’union de gauche
Au même moment, on ferraille en commission des affaires sociales. Arthur Delaporte, porte-parole du groupe socialiste s’indigne de la méthode. « Cela s’apparente à de la piraterie parlementaire, sans codes, ni honneur ». Sandrine Rousseau, députée écologiste, condamne un processus « tout sauf républicain, mais ça on le savait à l’avance ». Frédéric Falcon, élu RN, qui devait porter le texte le 12 janvier se défend : « Ce qui prime c’est l’intérêt général. Le texte reste celui de Madame Fiat et de LFI ».
L’annonce par l’élue insoumise à 18h tout sourire que « le RN [lui] offre du temps parlementaire » pour défendre son texte le 12 janvier crise la NUPES. Un scénario jamais vu, d’autant plus que l’élue propose cette solution avec l’aval des dirigeants du groupe insoumis. Le danger pour l’alliance de gauche est plus grand qu’un vol de texte. C’est la fracture du cordon sanitaire avec le Rassemblement national. Cordon rappelé par Louis Boyard, député insoumis, au début de la législature : « face au RN, on respecte les gestes barrières ».
Dénouement à marche forcée

Le 7 décembre dans la matinée, c’est le dénouement. Jean-Luc Mélenchon, figure tutélaire du groupe l’annonce sur Twitter : « le groupe LFI retire son texte usurpé par le RN. La frontière est claire ».
Le groupe de Marine le Pen apparait toujours aussi radioactif. Au PS, Olivier Faure charge « le RN joue. Pas la gauche ». Jeu presque remporté par le groupe de Marine le Pen, mais texte retiré. Dans un communiqué de presse, le RN dénonce des « intérêts politiciens », placés avant « l’intérêt général ». « On veut avancer nos sujets et mettre mal à l’aise les autres groupes », expliquait dans un article du Monde Renaud Labaye, secrétaire général du groupe RN à l’Assemblée nationale en amont de la conférence. C’est réussi.