
Avec son projet de loi sur les énergies renouvelables (EnR), l’exécutif mise la planification écologique pour rallier les voix de la gauche. Une méthode de gouvernance qui peine à convaincre dans les rangs de La France insoumise et des associations altermondialistes.
Le mercredi 2 novembre, la députée Alma Dufour (LFI) croise la Première ministre au détour d’un couloir : “Un 49.3 pour le climat, c’est ça Madame ?”. Grâce à l’activation de cet article, le budget 2023 a été adopté par un passage en force, supprimant deux amendements qui prévoyaient d’allouer 12 milliards d’euros à la rénovation thermique des logements. À quelques mètres de là, une vingtaine de militants écologistes bloquent toujours la circulation devant l’Assemblée nationale. “Mais bouge de là !”, lance un chauffeur-livreur excédé à une jeune activiste du collectif Dernière Rénovation.
Un mois plus tard, le projet de loi sur les énergies renouvelables (EnR) – le seul de cette session parlementaire dédié à l’écologie – fait son arrivée, lundi 5 décembre, dans l’Hémicycle. Sans recours possible à l’article 49.3, le gouvernement met cette fois en avant la “planification écologique”, méthode empruntée aux réseaux altermondialistes pour rallier la gauche et les écologistes pendant la campagne présidentielle. Car avec ce texte, l’exécutif entend rattraper son retard dans le déploiement de parcs éoliens et solaires. “L’idée est qu’on ne peut pas transformer nos secteurs économiques du jour au lendemain. On doit se fixer des objectifs à long-terme et engager des changements structurels”, décrypte Sébastien Treyer, directeur général de l’Institut du développement durable et des Relations internationales (Iddri). Un mode de gouvernance défendu notamment depuis douze ans par le candidat Jean-Luc Mélenchon qui propose dans son programme la création d’un Conseil de planification écologique, composé de syndicats, d’associations et de citoyens tirés au sort. De son côté, le politologue Benjamin Morel abonde : “Ce concept longtemps abandonné revient pour des raisons politiques : il y a aujourd’hui un sentiment de perte de sens de l’action publique. C’est d’abord un jeu de communication politique”.

« Il n’y a aucun plan d’investissements publics »
Mais un retour en grâce de l’interventionnisme étatique qui peine néanmoins à convaincre sur les bancs de la Nupes. “Cette loi est l’exacte opposée de la planification : il n’y a pas de scénario, ni de budget adossé”, assène l’élue insoumise Aurélie Trouvé. Face aux recours qui ralentissent les chantiers – jusqu’à quatre ans pour l’installation d’éoliennes -, le projet de loi veut simplifier les procédures administratives. Mais sans qu’aucune proposition financière ne soit directement formulée dans le texte. “La planification sans les moyens de l’État, c’est du coloriage”, fustige le député nazairien Matthias Tavel (LFI) dans l’Hémicycle, sous les applaudissements de ses collègues. Dans sa circonscription de Loire-Atlantique, le premier parc éolien en mer a vu le jour en septembre après trois ans de chantier. “Emmanuel Macron veut désormais construire 50 parcs éoliens offshore en 2050, mais il n’y a aucun plan d’investissements publics. On laisse libre-court au marché”, renchérit Matthias Tavel. La part des énergies renouvelables dans le mix énergétique n’était que de 19,1% dans l’Hexagone en 2020, contre un objectif de 23,7%. “La France est le seul pays en Europe à ne pas avoir atteint ses objectifs en matière de renouvelables”, rappelle Charlotte Mijeon, porte-parole du Réseau sortir du nucléaire.

À l’instar des États-Unis et de l’Allemagne, le groupe LFI plaide pour l’instauration de mesures protectionnistes « écologiques et solidaires ». Seul moyen, selon eux, de bâtir une filière industrielle du renouvelable français. “Ce devrait être l’essence même de la planification”, glisse l’élu de l’Ouest. Les constructeurs allemands ont édifié environ les deux tiers du parc éolien français, selon l’Observatoire éolien de France Énergie Éolienne (FEE).“Le paradigme qui était celui de la planification dans les années 1950 n’existe plus vraiment. Aujourd’hui, on a très peu de prises sur la dérégulation des marchés”, éclaire le politologue Benjamin Morel.
Une planification au service du nucléaire
La ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, défend de son côté une méthode qui doit “redonner aux élus de terrain la possibilité de décider de l’implantation des projets”. L’inverse des consultations citoyennes que préconisent les fondateurs de la planification écologique. “Il faut que le débat national soit décliné jusqu’à l’échelle communale, avec des discussions dans chaque ville sur quelles énergies on veut près de chez soi”, abonde la députée Clémence Guetté (LFI), auteure d’une “mission flash” sur l’acceptabilité des énergies renouvelables en France. Au terme de ces discussions, les doléances des habitants remonteraient jusqu’au Conseil de planification écologique, comme prôné par le leader insoumis, qui élaborerait alors un projet de loi.
Côté majorité, une grande concertation a néanmoins été lancée dans tout le territoire sur le mix énergétique. “Ces consultations n’ont pas vocation à remettre en question les orientations prédéfinies. Le côté démocratique d’une planification écologique passe totalement à la trappe”, pointe la militante écologiste Charlotte Mijeon. Dans la lignée du Plan Messmer (1974), Emmanuel Macron a dévoilé en février un vaste programme de relance du nucléaire français. Six nouveaux réacteurs devraient voir le jour d’ici 2050 pour un coût estimé entre 52 et 56 milliards d’euros. Comme l’affirme Charlotte Mijeon : « La planification écologique telle que l’entend Emmanuel Macron vient simplement financer la relance du nucléaire« . Loin de l’ambition révolutionnaire initiale d’une grande refondation écologique.