
Entre sécheresses, maladies animales et explosion des prix de l’énergie, les agriculteurs français n’ont pas été épargnés en 2022. Parmi eux, les producteurs des produits stars des fêtes espèrent que l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat n’affecteront pas les ventes de cette période cruciale.
« 2022 est une année à oublier. » Le bilan tiré par Marie-Pierre Pé, directrice du Cifog (Comité Interprofessionnel des Palmipèdes à Foie Gras), est quelque peu catastrophique. De toutes parts, les producteurs de foie gras ont été assaillis.
D’abord par l’épizootie de grippe aviaire qui a sévi de manière inédite sur le territoire français en 2022. Fin juillet, le ministère de l’agriculture estimait à 1 378 le nombre de foyers, et à minimum 16 millions le nombre de volailles abattues. « J’ai été obligé de gaver des femelles, alors qu’habituellement on n’a le droit de gaver seulement des mâles » raconte Éric Degert, éleveur de canards dans les Landes. Cette adaptation n’aura pourtant pas suffi à compenser. « Il me manque trois tonnes de foie gras. Je ne peux pas proposer certains produits habituels » déplore l’éleveur. À échelle nationale, on observe une baisse de 30% de la production. « Beaucoup d’éleveurs vendront moins que l’année dernière car ils n’ont pas pu produire » prévoit Marie-Pierre Pé.
La hausse des prix, des matières premières comme de l’énergie, n’a pas arrangé la situation. « Le prix des céréales ont doublé » note Éric Degert. Une augmentation qui a atteint la plupart des éleveurs, dont ceux des produits très consommés à Noël. + 37 % pour le gaz, + 41 % pour les aliments pour animaux, + 119 % pour les engrais… En cause notamment : les dérèglements climatiques de l’année et la guerre en Ukraine.
Se préserver, sans faire fuir la clientèle
Alors pour survivre, les producteurs sont contraints à des ajustements. À commencer des prix : « J’ai été obligé d’augmenter mes prix de 10 à 15%. On est à flux tendu » s’inquiète Éric Degert, loin d’être le seul à avoir pris cette décision. « On a dû monter le prix du saumon de 30% » affirme Serge Beaumont, directeur commercial de Dom Petroff, entreprise produisant du caviar et du poisson fumé. Sur BFM TV, Laurent Chiron, président du groupement qualité des huîtres Marennes-Oléron, déclarait que le prix des huîtres allait « probablement augmenter d’environ 15% » pour les fêtes de fin d’année. Pour les producteurs distribués en supermarchés, ces augmentations des tarifs ont été le fruit de renégociations permanentes entre les industriels et la grande distribution.

D’autres préfèrent ne pas prendre le risque : « Nos fournisseurs ont monté de 30% leurs prix. Mais on répercute sur nos marges, on ne peut pas se permettre de monter les tarifs, sinon les gens n’achèteront pas » explique Alice Doury, productrice de champagne dans la Marne.
Quelle que soit la stratégie adoptée, tous comptent sur Noël pour vendre leurs produits et compenser un peu cette année difficile. « La période de novembre à décembre représente 80% des ventes de foie gras du côté des consommateurs » rappelle Marie-Pierre Pé. Pour le champagne, la fin d’année représente 30 à 50% des ventes.
Un début encourageant
Et pour le moment, malgré l’inflation, les consommateurs semblent être au rendez-vous. « La demande est anticipée par rapport aux autres années, elle est étalée entre novembre et décembre, constate Marie-Pierre Pé. D’habitude les gens attendent la dernière quinzaine de décembre pour faire leurs achats. Là ils suivent notre recommandation de ne pas attendre le dernier moment. » Serge Beaumont, de chez Dom Petroff affirme également que malgré la hausse des prix la clientèle reste fidèle : « Les gens connaissent les produits et acceptent de mettre le prix. »
Le sondage de CSA Research « Budget, stratégies financières et bons plans des Français pour Noël », datant du 21 novembre, montre « que le repas reste le poste de dépenses le plus préservé par les Français pour Noël ». Cette année, ils y consacreront en moyenne 127 euros, soit 10 euros de plus qu’en 2021.

Des chiffres quelques peu étonnants, lorsqu’on sait qu’en novembre l’inflation des produits alimentaires a atteint 12,2%, selon l’INSEE. « Là où l’inflation a le plus fort impact, c’est sur la consommation alimentaire » note Véronique Riches-Flores, économiste spécialiste en prospective économique et financière. En un an, le panier moyen des Français s’est réduit de 7,5 % d’après l’INSEE.
Écarts de niveau de vie = écarts de consommation
Alors pourquoi les produits de Noël seraient épargnés ? « Je pense que les Français vont quand même vouloir se faire plaisir et s’offrir une parenthèse festive. Le foie gras est une valeur incontournable » avance Marie-Pierre Pé. Beaucoup de producteurs comptent en effet sur un effet « post-covid » qui boosterait la consommation, après deux années de fêtes sous restrictions sanitaires. « Les regroupements familiaux, qui n’ont pas pu se faire pendant deux ans, vont sûrement stimuler la consommation. » suppose l’économiste.
« Ce ne sont pas les classes aux revenus modestes qui font le gros du marché des produits de luxe »
Véronique Riches-Flores, économiste.
Mais elle nuance toutefois. « On remarque surtout que ce sont les populations les plus démunies qui prennent de plein fouet la hausse des prix, et qui contrôlent leur consommation. Or on parle ici de champagne, de foie gras, qui sont plutôt des produits de luxe. Ce ne sont pas les classes aux revenus modestes qui font le gros du marché de ce produits. » L’économiste observe effectivement que les classes moyennes et aisées, davantage consommatrices de types de mets, conservent un « confort de vie » malgré la hausse des prix. Il est donc probable qu’une baisse de consommation s’observe sur les produits de grandes surfaces, et moins sur les produits de producteurs plus « haut de gamme » .
Ces prévisions plutôt encourageantes sur la consommation de fêtes ne suffisent toutefois pas à rassurer complètement les producteurs, qui redoutent déjà les prochains mois. « La situation reste très tendue. Les aides promises par le gouvernement sont absolument nécessaires aux éleveurs » insiste Marie-Pierre Pé.
Mara NOURY