Rosny-sous-Bois, une ville comme coupée en deux

Entre l'ogre commercial Rosny, et un centre-ville qui se vide de ses petits commerces, il existe comme deux villes dans la ville. Photo : Baptiste Dedieu & Flavien Gagnepain

Au nord de Rosny-sous-Bois, un projet d’agrandissement de l’immense centre commercial Rosny 2 est en discussion. Lassés, les commerçants du centre-ville ne veulent même plus s’y opposer. Pour eux, ce centre a coupé la commune en deux.

Depuis 1973, la ville de Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, accueille sur son terrain un impressionnant centre commercial, appelé Rosny 2. Son propriétaire, le Canadien Westfield, voit les choses en grand. D’une superficie de 120 000 m², le centre pourrait encore gagner en surface, pour atteindre les 150 000 m² d’ici 2025. L’objectif des promoteurs est d’en faire le deuxième plus grand centre commercial de France, en y ajoutant une tour de sept étages, un drive pour le magasin Carrefour ou encore des restaurants.

De quoi drainer encore plus l’activité économique de la ville, mais aussi de tout le département. Face à ce monstre, les commerçants du centre-ville de Rosny-sous-Bois se disent presque désabusés : « On ne peut tout simplement pas rivaliser avec les boutiques de là-bas, souffle Pascale Karotchi depuis son magasin de prêt-à-porter féminin. Ils font tout le temps des offres pour tirer les prix vers le bas, alors que moi, je suis obligé de faire des marges. Donc forcément ici, c’est plus cher. Heureusement que mes clientes sont fidèles. »

Quelques dizaines de mètres plus loin, Marie Herbrard, opticienne pour Krys, se sent abandonnée. « Le centre-ville, c’est une catastrophe. Il meurt à petit feu. Beaucoup de commerces ont mis la clef sous la porte, mais très peu ont été remis en route. La rôtisserie juste en face, ça fait des années qu’elle n’existe plus. Mais personne ne la reprend ! Je me demande ce que fait la mairie, à part installer des pompes funèbres. Il n’y a rien qui donne envie de privilégier le centre-ville. »

La mairie assure vouloir protéger les petits commerces

De son côté, la mairie se défend. Catherine Lusso Marchand est chargée de missions à la Ville de Rosny-sous-Bois et dirige le développement urbain de la commune. « La mairie a instauré une zone de sauvegarde de commerce, car nous voulons avoir un œil sur ceux qui s’installent. C’est important de proposer une offre cohérente, surtout avec Rosny 2 au nord de la commune. » La ville ne veut pas de kebabs ou de magasin de fast-food, mais demande une continuité avec le commerce précédemment installé. « Nous avons le Leclerc qui est notre locomotive, puis nous avons fait venir un Naturalia, un Picard, un Nicolas… »

Beaucoup de chaînes donc et peu de petits commerçants traditionnels. L’un des derniers d’entre eux s’appelle Victor Olivera Bastos. Ce cordonnier tient sa petite boutique depuis 1994 et a vu depuis 28 ans le centre-ville se vider de ses commerces. « Avant Rosny 2 on avait un poissonnier, un magasin de parfums, une mercerie… C’est fini tout ça. Ma clientèle, ce sont les gens habitent dans le sud de la ville, c’est tout. »

Deux mondes qui s’opposent et s’évitent

Tous les commerçants rencontrés semblent démoralisés au moment d’évoquer l’avenir de Rosny 2 et la place que le lieu a pris dans la ville de 45 000 habitants. « On s’est battu un temps, mais que voulez-vous qu’on fasse ? C’est devenu David contre Goliath », lâche Nadia sur le perron de son enseigne de services à domicile de la rue du Général Leclerc. Elle ne s’imagine pas pouvoir faire face au géant Westfield, dont l’appétit ne faiblit pas, lui qui a racheté 14 centre commerciaux en France en quelques années.

Catherine Beloulou tient un des derniers magasins de vêtements du centre et partage cette inquiétude. « J’avais collé une affiche pour m’opposer à l’agrandissement de Rosny 2, mais je l’ai enlevée. On est tous un peu désespérés. Avant ici, c’était comme un petit village. Mais depuis que Rosny 2 est là, il n’y en a que pour les auto-écoles, les pompes funèbres et les agences immobilières.»

Nous avons notre clientèle ici et les opticiens du centre commercial ont la leur.

Suvitah Rajaratnma, opticienne dans le centre-ville

Une autre opticienne, indépendante, va plus loin. « C’est bien simple, la ville est coupée en deux. Alors que Rosny 2 grandisse, ou qu’il se rénove , ça ne va changer grand-chose. Nous avons notre clientèle ici et les opticiens du centre commercial ont la leur. Ça ne bouge pas. »

Ce sentiment qu’il existe deux Rosny est partagé par de nombreux professionnels. Julien Lacroix dirige l’agence immobilière Laforêt : « Il y a clairement une ligne qui sépare Rosny en deux, c’est la N302. Au sud, c’est le centre-ville et un grand quartier pavillonnaire et résidentiel. Là-bas, il y a beaucoup plus de verdure, que ce soit dans les rues ou avec les parcs comme le plateau d’Avron. Mais le centre ville reste vraiment petit pour la ville… » D’après l’agence, il y a 46 commerces en dehors de Rosny 2, soit un pour 1.000 habitants.

Et cette coupure en deux se ressent sur les prix des terrains. Dans le centre-ville, le mètre carré s’achète entre 6 et 8.000 euros. Pour la zone du Bois Perrier, au nord de la N302, comptez entre 3.500 et 4.000 euros du mètre carrés : « On y trouve beaucoup de barres d’immeubles et des logements sociaux, tout autour du centre commercial.  » (voir carte ci-dessous)

Le métro arrive, son lot d’incertitudes avec

Quand vient la question de Rosny 2,  le directeur d’agence explique sans détour : « On n’a pas affaire au même type de population. Ceux qui ont les moyens, ils vivent dans le sud et vont faire leurs courses chez le fromager du centre-ville. Ceux qui habitent autour de Rosny 2, ils achètent leur fromage à Carrefour. Pour eux, c’est leur commerce de proximité ! »

Et Julien Lacroix de pointer : « Les choses évoluent, les prix au mètre carré autour du centre commercial ça ne font qu’augmenter car avec l’arrivée de la ligne 11 du métro (prévue en 2024, ndlr), les logements sociaux se transforment en accès à la propriété. »