Le CHENE, refuge normand pour hérissons malades
À Allouville-Bellefosse, près d’Yvetot en Normandie, le centre de sauvegarde de l’association CHENE soigne les hérissons en détresse, puis les relâche. Ces dernières années, le nombre de pensionnaires grimpe et de plus en plus meurent, sans que l’on sache vraiment pourquoi.
Une simple caisse plastique transparente, le couvercle percé d’une ouverture rectangulaire. Sur un tapis de papier journal, un hérisson emmitouflé dans des tissus. Depuis qu’il a été recueilli par l’association CHENE, c’est ici que vit le petit mammifère. À l’intérieur d’une pièce en carrelage blanc où règne une chaleur moite, sa boîte calfeutrée sous une serviette pour filtrer la lumière.
CHENE signifie centre d’hébergement et d’étude sur la nature et l’environnement. L’acronyme s’inspire du monument phare d’Allouville Bellefosse : un curieux chêne millénaire dont les vieilles branches tordues tiennent encore grâce à une structure métallique, sur la place du village. À peine deux kilomètres plus loin, l’association recueille oiseaux, phoques et petits mammifères. Ces animaux sauvages étant censés retrouver la nature, l’équipe évite de trop s’y attacher. Tout au long du séjour, les contacts se limitent au strict minimum : pas de petit nom, ni de caresses ou de paroles adressées. Afin de distinguer les hérissons, la soigneuse Laure Prévost leur met de la peinture à l’eau sur le bout des épines. Celui actuellement au centre n’en a pas eu besoin souffle-t-elle : « Il a une blessure à la tête et on a dû couper ses piquants pour nettoyer ».

Chiens, tondeuses et période d’hibernation
Chaque matin, Laure le pèse et contrôle ce qu’il a mangé. « Tous les hérissons ont le même menu, de la viande et des fruits. Quelques-uns préfèrent la poire ou la banane… On essaie de varier pour que tout le monde trouve son bonheur. » Avec deux gants de toilettes dédiés au pensionnaire, la soigneuse change ensuite les linges qui le tiennent au chaud, nettoie sa boîte et le remet dans un environnement propre. « S’il y a des soins ou des injections on s’en occupe aussi à ce moment-là, pour tout faire d’un coup et minimiser les manipulations ». Au début, Laure enduisait la plaie de miel pour qu’elle cicatrise plus vite : « C’était pas beau à voir, maintenant il est en train de guérir. »
Comme beaucoup de hérissons qui atterrissent ici, il est peut-être victime d’une voiture sur la route, d’une tondeuse ou d’une morsure de chien. Le CHENE se soucie surtout de ceux qui sortent en pleine journée, soit orphelins soit adultes, et que les gens déposent au centre amaigris, en piteux état. « Certains doivent séjourner au centre de sauvegarde parce qu’ils sont blessés, d’autres à cause de la saison » résume Laure Prévost. D’ordinaire, les hérissons hibernent et puisent dans leurs réserves. « Tous les petits de fin d’automne on est obligés de les garder… Même s’ils atteignent le poids requis d’au moins 450 grammes, à cette époque-là dans la nature ils n’ont plus rien à manger. » En dehors du centre, les bébés choupissons (jusqu’à deux mois) sont extrêmement fragiles. Souvent, ils ne résistent pas au premier hiver faute de graisse.

Une hécatombe qui laisse perplexe
Ces dernières années, le nombre de hérissons accueillis au centre de sauvegarde monte en flèche. Leur taux de mortalité augmente aussi, confie la soigneuse : « En 2019 on en a eu 400, alors qu’il y a encore une dizaine d’années ça tournait autour de 100 hérissons par an. Et ce n’est pas pour autant qu’on en relâche plus. L’année 2019 a été très triste pour nous parce que sur 400 hérissons on en a seulement relâché 50. »
Inquiète, l’association cherche à comprendre ce qui se cache derrière la série noire. Assise sur un banc de la salle commune, les cheveux blonds coiffés en queue de cheval, Laure Prévost précise d’emblée que les conditions de captivité aggravent parfois la situation d’animaux sauvages en mauvaise santé.
« Les hérissons stressent énormément et développent de la cortisone naturelle à haute dose, ce qui diminue leurs défenses immunitaires. En centre de sauvegarde, vous avez déjà des individus immuno-déprimés. Si en plus il y une bactérie qui traîne, ou un virus qui passerait inaperçu quand l’animal est en pleine forme… ». Vêtue d’une blouse, les mains pâles dans des gants en latex, la soigneuse glisse aussi que les règles d’hygiène ont un rôle à jouer : « On tente de renforcer le protocole, sans non plus travailler en combinaison imperméable P4. Quand vous manipulez plusieurs espèces dans un endroit restreint, vous n’êtes pas à l’abri que des parasites passent de l’une à l’autre. On appelle ça les infections croisées. »
Le même constat partout en France, sauf en Corse
Devant l’ampleur de la crise, stress et maladies contagieuses n’expliquent qu’une infime partie du problème : lorsque les hérissons décèdent dans les heures qui suivent leur arrivée, les organes n’ont pas eu le temps d’être influencés par le séjour au centre. La soigneuse enchaîne : « Ce n’est pas évident de généraliser parce qu’on ne fait pas de prise de sang systématique, les hérissons n’ont pas tous le même âge et viennent de régions différentes à l’intérieur du département. » Malgré cette prudence affichée, le Chêne reçoit de plus en plus de messages alarmistes. Au téléphone, les témoins s’accordent à dire que les hérissons ont disparu des jardins et des campagnes.
Pour prendre du recul, l’association a contacté plusieurs centres de sauvegarde à travers le pays. « Ils dressent effectivement le même constat à plus ou moins grande échelle, c’est une tendance nationale. Le seul qui nous a répondu « bah non écoutez, on n’a aucun problème » c’est la Corse, un cas de figure particulier. Sur l’île, il n’y a pas trop d’agriculture donc ça peut donner un indice… »

Laure Prévost n’exclut aucune piste mais regrette que chacun y aille de son hypothèse hasardeuse : « En science pour avoir une certitude il faut faire des analyses et un certain nombre d’échantillons afin que ce soit représentatif. » Justement, une enquête suit son cours pour étudier en détails l’état physiologique des hérissons qui arrivent au centre de sauvegarde. Des organes sont prélevés chez les patients morts au cours des trois premiers jours, puis envoyés à des laboratoires spécialisés. Le CHENE a lancé un appel au financement participatif car les recherches coûtent cher : il faut ratisser large et tester, à tâtons, une multitude de facteurs. Avec l’aide d’une vétérinaire, les membres de l’association espèrent en savoir plus sur ce déclin des hérissons, en Normandie et ailleurs. Protégée depuis 1981, l’espèce risque de s’éteindre à moyen terme si rien ne bouge.
Antoine Trinh