La femme qui riait au nez de Parkinson

Il y a six ans, le neurologue diagnostique un Parkinson à Nadia. A 75 ans, la diététicienne à la retraite ne s’est pas laissée abattre. Elle poursuit sa pratique des arts martiaux malgré la maladie et a fait de son optimisme permanent une arme face aux effets secondaires du traitement.

Une effluve aux accents terreux, celle des soirs d’hiver, celle de la soupe poireaux pommes de terre. Sa préférée. Il y a dix ans, Nadia Faidherbes commence à la trouver fade. De plus en plus fade. Elle ne le sait pas encore mais ce sont les premiers symptômes de la maladie de Parkinson : la perte de l’odorat et du goût. En 2013, à l’âge de 69 ans, Nadia a sa main droite qui commence à tressauter. A la Pitié Salpêtrière, à Paris, un neurologue la diagnostique tout de suite.

Cette maladie neurodégénérative entraîne une disparition rapide des neurones de la « substance noire » dans le cerveau. La zone qui sécrète notamment la dopamine. « C’est l’hormone du bonheur, explique Nadia. Dans son appartement du quartier du Père Lachaise dans le XXe arrondissement parisien, toutes les babioles d’une vie s’entassent sur les étagères. Des recettes de cuisine jaunies, un patchwork de photos fait à la main par ses petits-enfants – elle en a sept -, et des pelotes de laine rouges, mauves – « la couleur à la mode ». Son sourire s’atténue : Si on ne produit plus cette hormone, la dépression pointe vite le bout de son nez ». La dopamine a une autre fonction : elle coordonne les mouvements. En cas de manque, des tremblements et des gestes incontrôlés surviennent de manière inévitable.

Marcheuse hyperactive

« Beaucoup de recherches sur le cerveau ont constaté que l’activité physique était très bénéfique pour ralentir l’avancée de la maladie, souligne Nadia. Alors je marche 10 km par jour dans Paris autour du Père Lachaise et dans le quartier latin». A 75 ans, l’effort paraît remarquable. Mais la diététicienne à la retraite ne manque pas d’entraînement. De 2000 à 2019, chaque année, elle parcourait 800 km sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. « J’ai bien dû faire le tour de la Terre si j’additionne toutes mes expéditions, s’exclame Nadia en réajustant les manches de son gros pull gris. Au bout de quelques kilomètres, aujourd’hui j’ai des freins dans les jambes, des raideurs ».

Nadia a passé son brevet de pilote à 20 ans. Archives.

Hyperactive depuis sa jeunesse, elle collectionne les diplômes et les formations en tout genre, « au cas où » elle devrait un jour changer de vie. Un brevet de pilote passée à 20 ans dans son Morbihan natal, une formation de monitrice d’auto-école gagnée lors d’une loterie de la Croix Rouge, un diplôme d’Etat d’éducateur sportif… Et surtout, un deuxième dan d’aïkibudo obtenu à l’ASPP (Association sportive de la Police de Paris).

« J’ai commencé cet art de défense japonais à 38 ans et je ne me suis jamais arrêtée », raconte Nadia en fouillant dans un tiroir. Elle en sort de grandes photos imprimées en mauvaise qualité sur du papier A4. Les gros pixels obligent à plisser les yeux pour discerner les personnages posant fièrement sur le tatami. Les cheveux rouge foncé de la vieille femme sont les mêmes qu’aujourd’hui. Coupés à la garçonne « parce que c’est plus pratique ».

Nadia pratique l’aïkibudo depuis 38 ans. Archives.

Samouraï Valiente

« J’aime m’occuper des jeunes pendant les cours, ajoute-t-elle. Je plaisante avec eux pour les décontracter, les mettre en confiance. Et puis surtout je leur dis qu’avoir une passion, ça aide à vivre ». La septuagénaire elle-même surmonte ainsi la maladie. Ses camarades espagnols de Saint-Jacques l’ont surnommée « Samouraï valiente », soit en français « Samouraï vaillant ». L’image lui plaît. Elle se voit comme une combattante.

Dans ce sport, « on peut s’arracher les ligaments facilement », avertit Nadia en mimant une clé du poignet d’un mouvement rapide. « Il faut savoir se déplacer avant tout pour parer les coups qui arrivent, poursuit-elle. Ensuite, tu utilises une technique et tu envoies le partenaire à la chute ». A l’écoute d’un tel récit, Parkinson semble bien loin. L’énergie et l’amour du sport prenne le dessus. Nadia enchaîne avec sa pratique du kobudo, l’art des samouraïs. Entre la table à repasser et le sofa du salon, ses gestes se font précis et gracieux quand elle brandit un bâton imaginaire pour montrer une posture.

Nadia Faidherbes raconte comment sa passion pour l’aïkibudo l’aide au quotidien malgré sa maladie. Crédits : Tournage/Montage de Clara Lahellec.

« A cause de Parkinson, Je marche de travers et j’apprécie moins bien la hauteur des marches et des trottoirs, détaille Nadia en essuyant ses lunettes de vue. Je dois marcher avec une canne ».  Autre symptôme, ses yeux pleurent sans arrêt : « c’est très ennuyeux ». La vieille femme passe aussi des nuits très agitées. « Si je ne prends pas ma mélatonine avant de me coucher, je donne des coups à mon compagnon en dormant », témoigne-t-elle, blasée. La plupart du temps, le sommeil s’absente et Nadia ne peut plus fermer l’œil passé 2h du matin : « Ce n’est pas grave. Je regarde des clips de rap à la télé en tricotant jusqu’à ce que je fatigue à nouveau. Ça m’apaise, j’adore le rythme même si je ne comprends pas toujours toutes les paroles » , s’amuse-t-elle.

Le tricot lui permet de passer le temps et d’exercer ses doigts contre le raidissement des articulations. Ses productions s’accumulent dans une armoire, sans trouver preneur, jusqu’au Noël suivant, où toute la famille reçoit l’attirail complet du parfait bonhomme de neige : bonnet-écharpe-pull-over. « Quand j’étais petite en Bretagne on apprenait à tricoter des chaussettes avec cinq aiguilles, affirme-t-elle en arborant une écharpe multicolore de plusieurs mètres. C’est ce qui me décontracte le plus ».

Le stock d’écharpes de Nadia. Crédits : Clara Lahellec.

Le rap contre les effets secondaires

La maladie de parkinson oblige les malades à suivre un lourd traitement. La posologie est simple mais rigoureuse : un précurseur de la dopamine quatre fois par jour en respectant toujours le même temps de latence entre les prises. Deux médicaments, se partagent le marché mondial : le Sinemet – produit par le laboratoire américain Merck & Co – et le Modopar, du laboratoire suisse Roche. « Je n’ai pas de très bons souvenirs avec le premier, confie Nadia. J’ai perdu sept kilo en quelques semaines après d’horribles crises de vomissement. Le second me convient mieux ». Question de molécules. En effet, le Modopar contient non seulement la Lévodopa, substance active qui booste la production de dopamine, mais aussi d’autres molécules différentes du Sinemet. Chaque patient réagit plus ou moins bien à la composition des deux médicaments et il faut souvent adapter le traitement au cours de la maladie. Même si le neurologue a modifié la médication de Nadia, des effets secondaires persistent : nausées, vertiges et pertes d’équilibre pendant plusieurs heures après chaque prise de son antiparkinsonien.

Il y a un an, Nadia s’est prise de passion pour le rap. Crédits : Tournage/Montage de Clara Lahellec.

Protocole Iceberg

Depuis quatre ans, Nadia participe à un protocole de recherche sur la maladie de Parkinson à l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM) de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Surnommé « Iceberg », ce protocole consiste à étudier sur sept ans le microbiote intestinal des malades de Parkinson pour comprendre leurs divergences avec celui des personnes non-atteintes. Un diagnostic efficace consiste à identifier les premiers symptômes avant le début des signes moteurs. L’objectif du protocole est donc d’analyser des facteurs prédictifs de l’apparition et de l’évolution de la maladie. Un traitement préventif administré à un stade précoce pourrait alors ralentir le développement de Parkinson chez les malades et leur permettre de vivre plus longtemps sans symptômes invalidants.

Tous les ans, Nadia et les 329 autres participants au protocole se rendent à l’hôpital afin de passer une batterie d’examens testant leurs capacités motrices, leur équilibre, leur stabilité psychologique. Un neurologue leur rend alors compte des nouveautés de la recherche et de la prise en charge sociale de la maladie. La bouche de Nadia s’hérisse d’un sourire malicieux : «  Je donne mon corps à la science avec plaisir. C’est tout ce qu’il me reste, alors autant participer aux études scientifiques pour aider les futurs malades. »

La maladie de Parkinson est la deuxième maladie neurodégénérative la plus fréquente derrière la maladie d’Alzheimer. Selon une étude de Santé Publique France, 200 000 personnes en seraient atteintes en France en 2020. On compte environ 25 000 nouveau cas chaque année. En raison du vieillissement de la population et de l’augmentation de l’espérance de vie, d’ici 2030, la France devrait connaître une hausse de 56% du nombre de cas, avec une personne sur 120 atteinte par la maladie.

Source : Bulletin épidémiologique hebdomadaire de Santé Publique France, données nationales sur la maladie de Parkinson, avril 2018

Les traitements médicamenteux ont le défaut de stimuler de manière discontinue – à chaque prise – la sécrétion de dopamine dans le cerveau des malades. Ce dernier en produit donc trop durant un laps de temps restreint et, au fil des années, cela aggrave les effets secondaires indésirables comme les troubles moteurs et psychologiques. Ainsi, les chercheurs tentent de trouver des alternatives.

La recherche évalue aujourd’hui l’impact de la pratique d’activités physiques sur l’évolution de la maladie : la neurorééducation. Elle améliore les symptômes moteurs et protégerait même contre la dégénérescence des neurones, à raison de 3 à 4 heures d’exercice intensif par jour pour constater de réels effets. Une gageure, même pour un individu en bonne santé…

Une autre piste prometteuse concerne cette fois-ci la thérapie génique. Cela consiste en l’injection de matériel génétique permettant la synthèse de la dopamine directement dans les cellules du cerveau. Cette solution suscite beaucoup d’espoir car elle permettrait de stimuler la production de dopamine de manière continue chez les malades. Reste encore à savoir à quel stade de la maladie cette thérapie serait la plus efficace à administrer. D’autant plus que cette méthode thérapeutique est invasive et nécessite de lourdes interventions chirurgicales. La phase expérimentale est en cours.

Clara Lahellec

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