Nourrir 2 millions de parisiens uniquement en filière locale implique de changer fondamentalement nos modes de consommation. Quels sont les motivations et les freins qui facilitent ou empêchent ce changement d’alimentation ?
Depuis plusieurs années, les lieux de distribution de l’agriculture locale se multiplient. Marchés, AMAP, épiceries et même grandes surfaces tentent toutes de répondre à cette nouvelle demande de produits locaux. « Les grandes surfaces ont bien compris que la provenance locale était un enjeu pour les consommateurs, à tel point qu’elles essayent également de développer des produits locaux sur leurs lieux de vente », affirme Mathilde Piotrowski, chercheuse en marketing à l’université Saint-Etienne. Si les points de vente en circuits courts ne sont fréquentés que par une niche de personnes, le souhait de manger local lui est bien répandu. Mais d’où vient cette tendance? Assiste-t-on à une prise de conscience écologique de la population?
La recherche d’authenticité, le moteur de la consommation locale
Selon Mathilde Piotrowski, quatre motivations principales seraient à l’origine de ce nouveau mode d’alimentation. La santé, la qualité du produit, le lien social et la protection de l’environnement forment tout un ensemble de raisons qui motivent ce choix. Derrières ces diverses motivations on retrouve la recherche d’authenticité. Manger de vrais produits, retrouver leur goûts réels et rencontrer les producteurs en chair et en os, telle est la promesse de ces nouveaux circuits. « Savoir ce qu’on achète et le fait d’avoir un producteur en face de soi c’est rassurant », soutient la chercheuse.
Les consommateurs perçoivent une plus grande authenticité chez les agriculteurs car ils ne sont pas rompus à l’exercice de la vente. Il y a aussi l’idée qu’on « n’empoisonnera pas des gens qu’on a en face de soi ». Cette demande de « vrai » est fortement liée aux différents scandales sanitaires qui ont émaillé ces dernières décennies. Le scandale de la viande de cheval en 2013 a notamment causé une baisse de la consommation de certains plats cuisinés. Le développement des circuits courts seraient aussi une réaction à cette perte de confiance.
La consommation locale, encore une consommation de niche
Si la tendance en faveur de l’alimentation locale ne fait que s’accroître selon Mathilde Piotrowski, on constate néanmoins qu’elle est peu répandue dans la population. En effet, d’après les différents experts consultés, seulement 6 à 7% des consommateurs interrogés fréquentent les points de vente d’alimentation locale au lieu des supermarchés. Dans le rapport du Crédoc ce sont les « éclectiques des circuits indépendants de proximité ». Philippe Fleury, enseignant-chercheur en sciences agronomiques à l’ISARA, parle lui des « fervents du local ». L’environnement et la santé constituent pour ces individus -souvent engagés dans le monde associatif- les enjeux les plus importants à l’heure de faire ses courses. Les spécialistes s’accordent également sur le fait qu’il s’agit de catégories sociales moyennes à supérieures: niveau de revenu et de diplôme sont pour Thierry Mathé, chercheur en sociologie de la consommation au Crédoc, les principaux facteurs liés à la consommation locale.
Prix et accessibilité : deux facteurs de choix principaux
Les prix élevés et la difficulté d’accès aux produits locaux sont soulevés par les spécialistes comme les contraintes qui pèsent le plus sur la diffusion de ce type d’alimentation à la population générale. Selon le rapport 2017 du Crédoc, l’attention portée aux prix demeure forte dans l’achat d’aliments et la recherche d’économies à Paris profite notamment aux grandes surfaces. Mathilde Piotrowski affirme cependant que « si on va sur les marchés ce n’est pas forcément plus cher ». Les prix peuvent être pour elle « un frein de façade, ce qu’on appelle du déni ». Mais le critère d’accessibilité, compris comme la proximité géographique, la praticité, et l’information disponible, est aussi décisif. À cet égard, Thierry Mathé affirme qu’habiter en zone rurale facilite l’accès aux circuits courts, alors que « dans les grandes agglomérations c’est un peu plus compliqué » et « il faut avoir une volonté plus forte ». Ainsi, le chercheur conclut : « Certaines franges de la population auront davantage la possibilité de mettre en oeuvre leurs désirs ».
Le bio et le local
On peut par ailleurs avancer l’hypothèse d’une concurrence entre les aliments locaux et ceux issus de l’agriculture biologique, davantage présents dans les grandes surfaces. Pour Mathilde Piotrowski « les personnes militants vont essayer de combiner ces deux garanties ». Philippe Fleury met par ailleurs en évidence qu’à la différence des aliments bio, les produits locaux peinent aujourd’hui à garantir aux consommateurs des bonnes conditions de production. Bien que des démarches soient entreprises par les agriculteurs afin de certifier la qualité de leur fruits et légumes, il affirme pourtant que les consommateurs « ne savent pas toujours ce qu’ils achètent ». Le fait que les produits bio soient plus contrôlés (par l’existence de labels, par exemple), joue ainsi en leur faveur. En revanche, le chercheur est convaincu que le changement d’alimentation est plus important chez les consommateurs du local, qui mangent davantage de saison et moins de viande.