La publicité numérique : pour le meilleur ou pour le pire
A la gare Saint-Lazare, plus d’une soixantaine d’écrans numériques d’environ deux mètres de haut saturent l’espace de leur lumière. Alignés quatre à quatre, ces panneaux forment un mur publicitaire. Pour l’instant, ils sont interdits dans l’espace public parisien.
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Un sujet politique au niveau national et au niveau local
A Paris, les écrans numériques publicitaires envahissent les couloirs du métro, les bars et les restaurants et même les vitrines des commerces. Ils restent pour l’instant cantonnés aux espaces privés par le règlement local de publicité (RLP), approuvé en 2003 sous la mandature de Bertrand Delanoë. Ce règlement local n’a pris effet qu’en 2011, tant la lutte a fait rage entre le lobbying des entreprises comme JCDecaux et les associations anti-pub. L’association Résistance à l’Agression Publicitaire (RAP) affirme que « JCDecaux propose des RLP clés en main aux mairies ».
« JCDecaux propose des RLP clés en main aux mairies » (collectif RAP).
Ces innovations publicitaires ont déclenché plusieurs réponses législatives. Le droit d’uriner en paix, ainsi s’intitule la proposition de loi de François Ruffin (LFI) à l’Assemblée nationale. Le réalisateur de Merci Patron veut interdire les écrans publicitaires numériques dans les toilettes des bars et des restaurants français. Le député LFI veut également étendre l’interdiction à l’ensemble des lieux publics français.
A l’occasion du projet de loi « anti-gaspillage pour une économie circulaire», Delphine Batho, députée non-inscrite, a proposé un amendement qui permettrait aux maires d’interdire la publicité numérique par arrêté. Celui-ci a été adopté le 13 décembre dernier à l’Assemblée Nationale.
Face à la numérisation croissante des affichages publicitaires, la mairie de Paris a décidé de lancer une révision de son RLP depuis 2017. La décision finale – poursuivre l’interdiction ou pas – reviendra au prochain maire, qui sera élu lors de l’élection municipale de mars 2020. En 2011, en interdisant ce type d’écran, la mairie a fait une croix sur les généreuses taxes liées à leur installation, trois fois supérieures à celles des publicités non numériques.
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Gepostet von Delphine Batho am Freitag, 13. Dezember 2019
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Un support publicitaire plébiscité par les acteurs privés
Pour les annonceurs, ces panneaux numériques sont une bénédiction. En offrant la possibilité d’ajuster le message en fonction de l’heure de la journée, ils permettent une communication à la carte. Une souplesse impossible pour les campagnes diffusées sur affiches. « Nous commercialisons les écrans à la demi-heure. Par exemple, un annonceur peut choisir de communiquer uniquement en heure de pointe le matin sur la ligne 1 », explique Alexandra Lafay, directrice déléguée de Mediatransports. Cette société détient les 2000 écrans implantés dans les gares françaises, dont 700 rien que dans les couloirs du métro parisien.
Ces écrans publicitaires essaiment également dans des endroits beaucoup plus… intimes. Depuis cinq ans, l’entreprise Little Corner a installé « plus de 2 500 écrans au format portrait dans les toilettes de plus de 1 000 établissements », selon Efraim Clam, président de cette société. Installés dans un endroit souvent exigu, ces écrans marquent les esprits car le regard est souvent pris par la publicité diffusée. L’entrepreneur estime que «85% à 95% des personnes exposées à ces écrans dans les toilettes apprécient le message publicitaire, c’est plus élevé que dans le métro ou à la télévision » (chiffres TNS Media Intelligence).
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Certaines grandes enseignes jouent sur les limites de la réglementation : en installant des écrans numériques publicitaires à l’intérieur de leur vitrine, donc dans un espace privé, elles ne tombent pas sous le coup du RLP. Au premier semestre 2018, Monoprix et JCDecaux ont signé un contrat aboutissant à l’installation de plus de 200 écrans numériques dans les vitrines des magasins de la marque en France. Mais les publicités, diffusées sur des écrans orientés vers la rue, sont destinées aux passants !
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Les écrans numériques, source de pollutions variées
Au-delà de l’évidente consommation électrique qu’ils représentent, l’arrivée massive de ces écrans pose le problème de la pollution visuelle. « Je trouve ces écrans vraiment agressifs », remarque une parisienne à la gare Saint-Lazare. Interrogés sur ce problème, les acteurs du marché publicitaire se renvoient la balle. Pour Efraim Clam, « mieux vaut avoir une publicité aux toilettes que sur la place de la Concorde ». Cette phrase fait référence à la réglementation en vigueur dans la capitale. Les écrans numériques restent interdits, mais les immenses bâches publicitaires sont autorisées dans un cadre bien précis. L’hôtel de la Marine, situé sur la place de la Concorde, est resté recouvert par une bâche publicitaire pendant plus d’un an. La pratique est autorisée tant que l’annonceur participe au financement de la rénovation du bâtiment historique qu’elle cache.
« Mieux vaut avoir une publicité aux toilettes que sur la place de la Concorde » (Efraim Clam, Little Corner)
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D’autres estiment que la massification de la publicité participe à l’augmentation de la surconsommation et donc indirectement à la production de déchets. L’association RAP propose ainsi d’interdire les publicités qui incitent au gaspillage et à l’usage de produits nocifs et polluants. Mais la pollution visuelle et l’incitation à la surconsommation, s’ils sont documentés, restent des problématiques subjectives et peu quantifiables.
En revanche – et c’est ce que les détracteurs de la publicité mettent en avant – les écrans publicitaires numériques sont très polluants intrinsèquement. A cette pollution liée à son utilisation, il faut ajouter la pollution produite lors des deux extrêmes de son cycle de vie : sa production et son recyclage.
Anne-Cécile Brocq, Martin Fort, Lucile Guilbault, Jeanne Pelletier, Paul Ricaud et Lara Rinaldi