
Ce mardi se tenait la conférence « La preuve dans les sciences économiques ». Au final, les débats auront confirmé que prévision et économie ne réussiront sans doute jamais à faire bon ménage.
L’anecdote est restée célèbre. Lassé de ses conseillers économiques, qui ne cessaient de répéter « On one hand … on the other hand » (d’un côté … mais de l’autre….), le président américain Harry S. Truman se serait exclamé « Apportez moi un économiste manchot ! ». Ce bon mot illustre bien l’indécision perpétuelle que l’on colle aux sciences économiques. Une réputation qui s’est transformée en reproche, lorsque la crise de 2008 n’a pas été vue ni prévue par les différents économistes.
Pour Marie-Claire Villeval, directrice de Recherche au CNRS, les sciences économiques n’ont jamais eu la prétention de pouvoir prédire le futur : « Nous savons que nous n’avons pas un modèle unique capable de connaître l’avenir. On admet plusieurs modèles, et encore plus de marges d’erreur, il est normal qu’on ne puisse pas tout prévoir. » Au point d’amener la question : l’économie est-elle une science sans preuve ?
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— Jean-loup Delmas (@JeanloupDelmas) November 7, 2017
« Si je regarde une pomme tombée dans mon jardin, j’observerai la même chose qu’Isaac Newton en son temps, commente Michel Aglietta, professeur émérite d’économie. Que je sois à Lyon ou en Nouvelle-Zélande, la pomme tombera de la même manière. C’est le propre d’une loi scientifique : elle est universelle et intemporelle. » Tout l’inverse selon lui des prévisions économiques, basées sur des données d’un instant T aux paramètres changeants. « L’économie reste une science sociale, et à ce titre, elle est plongée dans l’Histoire, et l’Histoire se fait en permanence. Aucune loi immuable ne peut donc sortir en économie », estime le chercheur.
Impossible donc de connaître l’avenir, même si essayer d’établir des modèles prévisionnels restent l’un des buts majeurs des sciences économiques. Un paradoxe de plus pour Michel Aglietta, pour qui le temps est l’ennemi de l’économie : « L’économie prend très mal en compte l’hétérogénéité du temps, qui ne permet aucune prévision certaine, vu que les modalités d’aujourd’hui ne seront jamais les mêmes que demain. L’anticipation économique consiste à supprimer le temps, ce qui fausse inévitablement son jugement. »
Une science aux frontières perméables
Loin de tomber dans la fatalité, les sciences économiques se renouvellent. « La remise en question qui a accompagné la crise de 2007-2008 a permis de diversifier et de faire fructifier beaucoup de méthodes et d’innovations, confirme Marie-Claire Villeval. Notamment l’expérimentation qui a augmenté de façon exponentielle dans les revues scientifiques. »
Car si l’économie ne sera jamais une science parfaite, elle se veut à la recherche de toujours plus de précision, et elle est en pleine mutation. Pour Richard Arena, professeur de sciences économiques notre époque est témoin d’une reconfiguration des frontières de la discipline économique, de plus en plus poreuse avec les sciences naturelles. « On est loin d’être une science exacte mais on s’en rapproche par les méthodes qu’on utilise, témoigne Marie-Claire Villeval. Nous arrivons de mieux en mieux à identifier des régularités propres à certains contextes. Notre travail consiste à remettre en question des idées établis précédemment plutôt que de chercher la preuve de quoi que ce soit. »
L’économiste n’est donc pas capable de deviner un avenir certain, tout juste doute-t-il de ses modèles pour essayer de prévoir au mieux les changements futurs. Loin de se prendre pour un visionnaire, il remet tout en cause, même sa profession. John Kenneth Galbraith, célèbre économiste, disait d’ailleurs « La science économique est d’une extrême utilité, elle fournit des emplois aux économistes. » Encore un bon mot.
Jean-Loup Delmas