
Marie-Claire Villeval est directrice de recherche de classe exceptionnelle au CNRS. Elle participait ce mardi à la conférence « La preuve dans les sciences économiques », où elle a défendu de nouvelles méthodologies, notamment l’expérimentation.
Pouvez vous définir en quelques mots l’économie expérimentale ?
Marie-Claire Villeval : Il s’agit de tester directement et de manière répétée les modèles économiques sur des individus, que ce soit en laboratoire (où les sujets sont des volontaires conscients de l’expérience) ou sur le terrain (où ils ne sauront pas forcément qu’ils sont dans une expérience). Il ne faut pas oublier que le but des sciences économiques, c’est de remettre sans cesse en cause les modèles établis. Les résultats sont à ce propos satisfaisants: 60% des expérimentations économiques se valident lorsqu’elles sont répétées, alors que c’est seulement le cas de 40% des expérimentations en psychologie, ce qui montre bien une certaine logique économique qui se dégage des individus.
Qu’apporte l’économie expérimentale ?
M.-C. V. : Fatalement, les sciences économiques sont dépendantes de l’humain, de ses limites et de ses imprévisibilités. Un individu ne prendra pas toujours les décisions les plus rationnelles, même quand lui-même a conscience qu’elles le sont. Cela crée évidemment de nombreux problèmes dans nos modèles de prévisions et nos théories. L’expérimentation directement sur des individus permet d’inclure toutes les spécificités de ceux-ci, et d’obtenir un résultat tachant de rendre compte au mieux du réel, sans toutefois pouvoir l’atteindre.
L’expérimentation est-elle critiquée ?
M.-C. V. : Bien sûr, il ne faut pas penser que c’est la solution miracle. La méthode est imparfaite. Déjà, les tests se font principalement sur des individus de pays développés, des étudiants en majorité, donc avec également un certain niveau socio-culturel, ce qui ne permet pas de prendre conscience des mécanismes chez des individus ne possédant pas un tel bagage. Dans le cas de l’expérimentation de laboratoire, les individus ont de plus conscience d’être sujets à une expérience, ce qui la biaise forcément un peu. Et puis, les sommes manipulées durant ces expérimentations dépassent rarement 20 euros, les réactions provoquées ne seront pas forcément les mêmes pour des sommes de plusieurs milliers d’euros. C’est donc un modèle avec beaucoup de limites, et qui ne délivre aucune vérité absolue, comme toute science économique. Cela n’empêche pas cette méthodologie d’apporter une vraie richesse, principalement qualificative, tant qu’on a conscience de ses marges d’erreurs.
Jean-Loup Delmas