
Et si une nouvelle révolution technologique permettait de relancer une économie en berne ? De nombreux chercheurs voient en effet dans les robots les futurs hérauts _ ou héros ? _ de la croissance. Pour d’autres, le temps où le progrès bouleversait l’économie est révolu.
Comme l’a expliqué Gilles Dufrénot, chercheur au CEPII, dans son interview sur notre blog, la stagnation actuelle de l’économie serait en partie un retour à la normale, après que les deux révolutions industrielles aient biaisé pendant des décennies les taux de croissance, anormalement élevés. « Avant la machine à vapeur, la croissance n’existait pas », commente même Philippe Aghion, professeur au Collège de France.
Un fait historique qui peut amener à penser qu’il suffit simplement d’attendre que la troisième révolution industrielle, celle de l’intelligence artificielle et de la robotisation, fasse son effet et relance la croissance, comme l’ont fait avant elle la vapeur et le pétrole. D’autant plus que « les grandes vagues d’innovations sont précédées de mutations structurelles économiques, comme celles que nous vivons actuellement avec la stagnation séculaire, explique Gilles Dufrénot. Certains économistes pensent donc que nous sommes dans le creux d’une vague d’innovations qui est prête à déferler. »
Mais pour lui comme pour le reste des intervenants présents à la conférence , la chose n’est sans doute pas aussi simple. Pour contrer ce trop plein d’optimisme, les différents conférenciers ont notamment cité les travaux de l’économiste américain Robert J. Gordon, pour qui le progrès technique atteindra fatalement une limite.
A la recherche du fruit défendu
« Il faut imaginer que la technologie est un arbre fruitier, narre Philippe Aghion. Nous avons cueilli les fruits les plus juteux lors de la première révolution industrielle, qui ont énormément nourri l’économie. Puis, nous avons mangé les fruits de second choix lors de la deuxième révolution, déjà moins consistants. Aujourd’hui, nous sommes condamnés à récolter des fruits qui ne nous suffiront pas, selon le modèle de Gordon. »
Un modèle que le professeur trouve néanmoins trop extrême. « Même si le progrès technique est moins révolutionnaire, et amène donc moins de rupture capable de totalement relancer une économie, l’Etat doit quand même selon moi massivement investir dans les recherches et développement, et notamment en recherche fondamentale (c’est à dire tenter d’acquérir de nouvelles connaissances sans en envisager une utilisation particulière, NDLR), car c’est de là que l’économie pourra rebondir. »
La troisième révolution industrielle aura-t-elle lieu ?
Surtout qu’il est impossible de prédire quelle technologie va se développer et changer la donne. « Il suffit de voir le premier Blade Runner, sorti en 1982 et qui imaginait le monde en 2019, s’amuse Cécilia Garcia-Penalosa, directrice de recherche au CNRS. Il y a dans ce film des voitures volantes, une technologie que nous ne possédons pas, mais Harrison Ford utilise une cabine téléphonique, tout simplement parce que les scénaristes n’avaient pas prévu la révolution du portable ! »
Mais loin de pratiquer un investissement massif, les Etats diminuent au contraire leurs fonds de recherche depuis des décennies. « Il n’y a plus de stimulation particulière à notre époque, déplore Philippe Aghion. La seconde moitié du XXe siècle fut marquée par la Guerre Froide et la concurrence technologique, qui par exemple a permis aux Etats-Unis de dépenser sans compter dans la recherche, notamment spatiale, tout ça pour rivaliser avec Spoutnik et Gargarine (respectivement premier satellite et premier homme dans l’espace, tous deux soviétiques, NDLR). Aujourd’hui, une telle levée de fonds semble impossible. »
De quoi remettre en cause l’existence d’une troisième révolution industrielle. Et si nous n’étions pas au creux d’une vague d’innovations, mais au simple niveau normal de l’océan ? Gilles Dufrénot conclut la conférence en ce sens : « Peut-être que les deux révolutions industrielles resteront deux anomalies isolées, sans même qu’il n’y en ait une troisième. Au lieu de la penser moins efficace que les autres, il est temps de se demander si elle existera. »
Jean-Loup Delmas