
Comment assurer la transition énergétique d’ici à 2040 tout en maintenant le seuil des émissions de CO2 prévu par la COP21 ? C’est à cette question, entre autres, qu’ont tenté de répondre les intervenants à la table ronde « Les perspectives de long terme pour l’énergie et le climat ». Tous ont émis l’idée d’un prix commun pour le carbone, dans le but d’internationaliser le risque climatique. Mais la mise en place d’un tarif international paraît impossible, tant les positions semblent divergentes entre pays développés et émergents.
« En tant que praticienne de l’énergie, la transition énergétique est à la fois porteuse d’espoir et super exigeante en terme de pilotage »: à écouter Isabelle Kocher, directrice générale d’ENGIE, voilà toute la complexité qui attend les acteurs économiques ces trente prochaines années. Alors que les nouvelles formes d’énergies renouvelables semblaient préfigurer la transition de demain, Isabelle Kocher note que beaucoup d’Etats n’arrivent pas à produire sans puiser dans les énergies fossiles. Elle en pointe le paradoxe: « En Europe, la majeure partie à avoir investi dans les énergies renouvelables sont en train de produire du charbon, moins coûteux. Dans cette course contre la montre, il faut changer les règles du jeu ».
Fixer le prix du carbone
L’une d’entre elles, sur laquelle s’est installé le débat, concerne la mise en place d’un tarif mondial du CO2. L’objectif étant d’y voir plus clair dans les émissions de dioxyde de carbone, afin de mieux gérer le risque climatique, comme l’explique Roger Guesnerie, professeur émérite au Collège de France et président d’honneur de l’Ecole d’économie de Paris : « Sans une fixation du prix du carbone, il y a un risque de gaspillage des ressources. En l’absence d’un tarif commun, chaque secteur de l’industrie fait un peu comme il l’entend ». Patrick Artus, chef économiste de Natixis et membre du conseil d’administration de Total, questionnait d’emblée l’action des politiques publiques quant à un éventuel plafonnement du CO2. Passé de 5 à 8 euros la tonne depuis 2012, doit-il se fixer à 30 voire 40 euros, comme annoncé par Ségolène Royal, alors ministre de l’Ecologie, en 2016 ? « A ce prix-là, les industries meurent », rétorque Patrick Pouyanné. « Il faut suivre l’évolution des marchés afin de parvenir à un accord commun », ajoute le PDG de Total.
Vers un tarif commun européen ?
Problème, selon les intervenants : cette harmonisation du prix semble toujours aussi inaccessible. Les pays émergents sont particulièrement pointés du doigt. Dès le début de la conférence, Patrick Artus, avait donné le la : « Comment traiter le problème avec des pays comme l’Inde, où la production de charbon pose déjà question ? » Patrick Pouyanné abonde dans ce sens, et met l’accent sur « l‘aspect manichéen des perceptions économiques entre les pays développés, et ceux émergents, lesquels n’ont pas la même approche que nous ». L’idée d’un marché mondial commun semble chimérique : « Ne serait-ce que sur le prix du charbon, jamais l’Europe et l’Inde ne se mettront d’accord ». Alors sur le CO2…
Une impasse dont est bien conscient Patrick Artus : « Si on n’arrive pas à avoir un accord mondial – ce qui est probable – l’Europe peut-elle avoir un prix commun et taxer aux frontières du continent ? » Une proposition qui rejoint celle affichée par Roger Guesnerie : la création d’une taxe carbone, au niveau européen. Elle aurait notamment pour objectif de fluidifier le marché ETS (Emission Trading Scheme), ce système communautaire d’échange de quotas d’émissions entre entreprises vertueuses et d’autres plus polluantes. Mis en place dans le cadre du protocole de Kyoto, il régule le marché européen du carbone et se donnait pour objectif de réduire les émissions de CO2.
Ces mécanismes incitatifs, nécessaires dans la transition énergétique, occultent néanmoins un point fondamental, relevé par certains intervenants : l’importance des changements de comportements. David Kimelfeld, président de la Métropole de Lyon, insiste sur ce point : « Avant de parler d’un marché commun du CO2, il doit y avoir en amont une prise de conscience du monde tel qu’il est aujourd’hui en terme de développement durable. Il ne s’agit pas d’être taxé pour avoir peur, mais d’agir soi-même ».
Romain Métairie