Wojtek Kalinowski : « Oui, le modèle économique suédois est applicable en France »

Wojtek Kalinowski, codirecteur de l’Institut Veblen, a publié cet automne son ouvrage « Le modèle suédois : et si la social-démocratie n’était pas morte ? ». Alors que la question des dépenses publiques continue d’alimenter les débats en France, il commente l’exemple scandinave, souvent cité en référence.

Rappelez-nous tout d’abord ce qu’est le modèle suédois

Wojtek Kalinowski : Ce sont principalement trois éléments-clés. Premièrement, le dialogue social et la place de la négociation collective dans l’organisation. C’est le pilier le plus stable et le plus ancien du modèle suédois. Deuxièmement, l’Etat est producteur de services sociaux, financés par l’impôt. Dans ce pays, par exemple, la scolarité est gratuite, pour les écoles publiques comme privées. Enfin, il dispose d’un système d’assurance sociale et de mutualisation des risques, c’est-à-dire la protection des populations contre les aléas. C’est cette triade qui forme le modèle suédois, c’est-à-dire un marché dynamique et innovant couplé à un haut niveau de protection sociale. C’est une philosophie sociale-démocrate, en opposition au libéralisme bien plus répandu, ce qui en fait une exception.

Ce modèle a-t-il toujours été d’actualité en Suède ?

W.K. : Non, sa construction débute et s’étend sur l’essentiel du XXe siècle, et particulièrement dans les années 1960-1970. Il a été un peu remis en cause par ce que l’on appelle la correction libérale à la fin des années 1990 et durant la décennie 2000, où les dépenses publiques ont diminué et où la part du privé a augmenté. Le système d’assurance sociale, notamment, a été le pilier le plus atteint de la triade. Corrélé au retour de l’emploi, durement touché au début des années 1990, cette ouverture libérale a permis de faire passer la dette publique de 75% du PIB en 1993 à seulement 30% aujourd’hui. Depuis deux ans environ, nous assistons à une troisième phase, avec une envie de restaurer le modèle suédois. Cela se voit très nettement avec l’augmentation de la dépense publique, de l’aide de l’État, des impôts et du niveau des prestations sociales. Cela montre l’attachement des Suédois à cette dynamique économique.

Le modèle suédois est-il applicable à d’autres pays ?

W.K. : C’est difficile mais pas impossible. La particularité de la Suède, c’est que tout passe par la coopération et la négociation, et qu’il y a très peu de conflits sociaux. C’est loin d’être le cas dans la plupart des pays, notamment la France, ce qui fait dire à beaucoup d’économistes que ce modèle est une exception impossible à reproduire ailleurs. Mais il faut rappeler qu’au début du siècle dernier, la Suède était championne du monde du nombre d’heures de travail perdues par des grèves. La coopération n’est donc pas une donnée innée et culturelle des Suédois. Si c’est possible chez eux, en théorie, c’est possible aussi ailleurs. Les institutions peuvent notamment changer des mentalités solidement ancrées culturellement.

Il faut néanmoins se méfier de la comparaison trop évidente entre la France et la Suède du fait de l’importance des dépenses publiques pour ces deux pays. Les indicateurs macro-économiques ne disent pas grand chose des réalités du terrain, qui se jouent sur des détails. Et sur ces détails, la Suède est bien plus efficace que la France dans ses dépenses publiques, que ce soit en terme de réorganisation du travail, de l’emploi public, plus massif que chez nous mais sans le statut figé de fonctionnaire, et surtout dans l’administration. Le coût administratif de la protection sociale (inscriptions, traitement des dossiers etc) est deux fois moins important par habitant chez les Suédois que chez les Français par exemple, et c’est ainsi depuis des décennies ! C’est surtout de cette efficacité dont la France devrait s’inspirer, elle qui en manque cruellement.

Jean-Loup Delmas