
Nouvelle hausse des taxes sur le tabac, incitation fiscale pour l’achat de véhicules électriques…les exemples ne manquent pas de politiques publiques visant à « orienter » les citoyens et consommateurs. Invité des Jéco ce mercredi, Nicolas Treich est directeur de recherche à l’INRA (Institut National de Recherche Agro-économique). Selon ce spécialiste des questions de coût de la vie, l’incitation économique est essentielle pour l’amélioration de la société.
L’individu a-t-il envie d’améliorer le monde sans qu’on ne le récompense économiquement ?
Nicolas Treich : Non, les sciences économiques montrent au contraire que les individus ne vont pas faire des efforts d’eux-mêmes dans le but d’apporter quelque chose à la société, mais seulement pour leur confort personnel. C’est donc le rôle de l’Etat de donner des incitations pour que les actions des individus bénéficient à la société. Cela se réalise par le biais d’une politique incitative (bonus ou prime pour l’achat d’une voiture électrique par exemple) et punitive (augmentation du prix du paquet de cigarettes). Les deux fonctionnent toujours ensemble, puisque les primes d’une politique incitative découlent forcément des taxes obtenues par la politique punitive.
Et ces incitations de l’Etat fonctionnent-elles ?
N.T. : La plupart du temps oui, car la reconnaissance sociale appuie l’offre économique. Par exemple, le système bonus/malus pour les voitures non-polluantes a été un succès au-delà de toutes les prévisions économiques. Les chercheurs ont compris que cette sur-réaction du marché s’expliquait par le fait que cette incitation de l’Etat avait créé une nouvelle norme sociale, celle d’une conscience écologique citoyenne, et que les individus achetaient des voitures propres ou se débarrassaient de leur voiture polluantes non pas pour des intérêts purement économiques, mais pour être validés socialement par leur entourage. L’économie comportementale moderne a donc permis de voir que les outils économiques pouvaient créer des normes sociales. Cela conforte l’idée actuelle que l’économie dépasse largement son cadre, comme toutes les sciences humaines.
Cette norme sociale est-elle facilement maîtrisable par les outils économiques ?
N.T. : Non, la formation d’une norme est un phénomène imprévisible et qui peut s’avérer négatif. S’il est admis que les outils économiques peuvent créer un effet économique et un effet psycho-social, celui-ci peut aller à l’opposé du premier. Par exemple, les chercheurs ont constaté que si on paie des consommateurs pour qu’ils recyclent des objets, ils ont tendance à moins le faire que si on ne les rétribue pas. La réflexion est qu’il est normal de recycler, sans apport financier, et que, s’il accepte de recycler en étant payé, il peut donner l’image d’un radin qui ne trie ses déchets que pour l’argent. Ici, on voit bien que la norme sociale peut aller à l’encontre des intérêts économiques, mais aussi de ceux de la société.
Jean-Loup Delmas