Agnès Bénassy-Quéré : « L’économiste n’est pas un prévisionniste »

La table-ronde consacrée à « La gestion des erreurs en économie » dresse un constat implacable : il y aura toujours et encore des erreurs en économie. Pour Agnès Bénassy-Quéré, professeure d’économie à l’université Paris-1 et présidente déléguée du Conseil d’analyse économique, l’une des difficultés est de faire comprendre au public que l’économie n’est pas une science exacte, et l’économiste encore moins un météorologue.

Pensez-vous qu’en économie plus qu’ailleurs l’erreur est interdite ?

Oui et non. En médecine, les erreurs sont dramatiques. En histoire, une mauvaise interprétation sur un événement peut être rapidement corrigée. En économie, c’est plus diffus, même si cela peut avoir des conséquences financières importantes pour les individus. Une erreur peut ainsi plonger des personnes dans la pauvreté, produire de grosses inégalités, ralentir la croissance. Lorsque tout ceci s’accumule, cela peut mettre un pays dans l’embarras. Regardez le PIB par habitant sur une longue période, et le classement des pays dans le monde. C’est stupéfiant. L’Argentine était un pays riche au XIXe siècle. Il a été progressivement déclassé suite à des erreurs de politique économique. Souvent, ce sont des erreurs avec un impact immédiat, telle la chute de Lehmann Brothers, à la fin des années 2000. Mais les effets se font parfois sentir à plus long terme. On ne les voit pas forcément.

Les récentes erreurs de ces dix dernières années contribuent-elles à décrédibiliser l’économie auprès de l’opinion publique ?

Disons qu’il y a un malentendu entre les économistes et le public, pour qui les économistes serviraient à faire des prévisions.  Il se trompe, mais avec de bonnes raisons de le faire ! Prenez le météorologue : s’il prévoit que demain il va pleuvoir à Lyon, le fait qu’il le dise ne change rien au fait qu’il pleuvra ou non. En économie, si je prévois que demain le dollar va baisser, et que les gens m’écoutent, ils iront vendre du dollar le jour-même. Et il baissera non plus demain mais aujourd’hui. Donc j’aurai tort. La prévision elle-même a un impact sur les comportements, ce qui rend l’activité de prévision extrêmement difficile. En réalité, très peu d’économistes font de la prévision.

Maintenant, je comprends que le grand public reproche la crise aux économistes. Or ce qu’il faut bien avoir en tête, c’est que les crises, il y en a toujours eu. Cela n’empêche pas que l’économiste ait une part de responsabilité. Au-delà de ça, il y a eu plusieurs problèmes qui ont dégradé les relations avec l’opinion publique. Des captures d’économistes par des intérêts particuliers, notamment financiers ont, par exemple, existé.

Il faut aussi essayer de faire comprendre au public la dynamique perverse de la profession. Les économistes font des recherches massives là où il y a des données. Quelqu’un qui faisait une recherche en 2005 sur le travail fictif n’avait aucune chance d’être publié, car c’était trop expectatif. Autre problème : l’hyper-spécialisation du secteur et des experts en économie. Or pour comprendre la crise qui est survenue, il fallait être compétent sur la finance de marché, sur la finance d’entreprise, sur la macro-économie, l’économie industrielle… Les économistes polyvalents, malheureusement, sont assez rares. C’est difficile d’expliquer toutes ces nuances auprès du public.

Y a-t-il un moment où l’on peut non plus parler d’erreur mais de faute ?

Tout dépend de comment on définit les deux termes. L’erreur, c’est quelque chose d’assez neutre. La faute signifie qu’il y a un fautif. Donc elle renvoie à la recherche d’un responsable. Mais en ce qui concerne la crise par exemple, ce n’est pas tellement évident. Personne ne va dire que les coupables, ce sont les ménages américains qui n’ont pas pu rembourser leurs prêts. Chacun dans son environnement répond à des incitations. C’est la combinaison de tout cela qui a débouché sur la crise. Personne n’a eu l’impression de faire quelque chose de répréhensible. Certes, il y a des gens qui savaient qu’ils avaient pris trop de risques. Mais dans l’ensemble, chacun a eu l’impression de faire son travail. C’est extrêmement difficile, après coup, de dire à quelqu’un qu’il a été fautif.

Propos recueillis par Romain Métairie.