
Quels sont les moteurs émotionnels d’un trader ? Pourquoi prendre des décisions aux conséquences potentiellement catastrophiques ? Sans doute, un processus cognitif complexe impliquant des émotions comme la peur ou le plaisir. Lors de la table ronde « Finances, émotions et addictions », un chercheur en neuroscience et des financiers se sont glissés ensemble dans la tête des courtiers.
Vous êtes trader, un de vos clients est dans votre bureau, face à vous. Il a investi ses économies dans votre produit financier, le travail de toute une vie. Vous devez lui annoncer que son placement a perdu 20% de sa valeur mais qu’il ne faut surtout pas vendre pour le moment, même si cela continue à baisser. C’est le genre de décision que les financiers doivent prendre régulièrement au cours de leur carrière, « le travail de trader est profondément humain, vous êtes obligé de ressentir de l’empathie et c’est là que ça devient dangereux, mieux vaut avoir les épaules solides », résume Marco Heimann, spécialiste de la finance responsable.
Les humains ne sont pas 100% rationnels
La base des théories économiques ou financières c’est la rationalité pure des acteurs. Les consommateurs ou les investisseurs sont supposés prendre leurs décisions en comparant bénéfices et coûts tout en disposant d’une information parfaite. « Énormément de travaux récompensés par un prix Nobel d’économie sont fondés sur ce constat erroné », pense Christian Schmidt, directeur des recherches en neurosciences du CNRS. L’économie comportementale, étudie le comportement des êtres humains dans des situations économique, il s’agit d’un domaine d’étude encore très nouveau mais dont les récents travaux ont permis de mettre en lumière la capacité des humains à prendre des décisions irrationnelles ou paradoxales .
Christian Shmidt cite en exemple une expérience bien connue. Un individu à le choix entre gagner 3000 euros par mois et être le plus pauvre de la ville X ou gagner 2500 et être le plus riche de la ville Y, généralement les cobayes choisissent d’être la personne la plus riche de la ville Y même si cela représente moins d’argent. « Quand on demande à quelqu’un ce que veut dire bien gagner sa vie, la réponse en filigrane est très simple : plus que mon voisin! » résume-t-il. En somme, une décision complètement irrationnelle.
Daniel Kahneman, lauréat du prix Nobel 2002 et précurseur de l’économie comportementale, explique dans la vidéo ci-dessous ( sous titré en français), comment les expériences et les souvenirs introduisent des biais dans la conception du bonheur et influencent finalement la prise de décisions économiques de façon irrationnelle.
No pain no gain
Pour comprendre l’irrationalité des traders, il suffit de se pencher sur les variations de la bourse. Lorsque une action est haute, une « bulle » se forme, la valeur de l’entreprise est surestimée, le cours va forcement redescendre. C’est le pire moment pour investir mais les traders et le marché sont très confiants. Au contraire, quand le cours d’une action est au plus bas, le marché est en panique mais c’est le meilleur moment pour investir, car l’action va probablement remonter et la différence entre le prix d’achat et de vente, le bénéfice , sera important.
Il est donc inutile d’acheter une action qui est déjà très haute car elle a de grandes chances de redescendre. » Pour faire un bon rendement, il faut prendre un risque« , explique Christian Schimdt. Pourtant, il est difficile de convaincre un investisseur de miser sur une action au plus bas.
Le graphique ci-dessous résume ce principe.
Des biais cognitifs en pagaille
Les mécanismes qui empêchent les acteurs financiers de prendre les bonnes décisions sont nombreux et divers. Voici les plus communs d’entre eux.
- Les comportements moutonniers : suivre l’avis du plus grand nombre est généralement le meilleur moyen de faire un mauvais investissement ( cf la courbe ci-dessus), mais on ne peut s’empêcher de penser que si beaucoup d’individus agissent de façon similaire c’est qu’ils ont forcement raison.
- La comptabilité mentale: il s’agit du processus de calcul de la somme d’argent dont on est prêt à se séparer pour l’acquisition d’un bien. Le problème est que cette valeur change de façon irrationnelle. Par exemple des études prouvent que les individus ont tendance à dépenser plus d’argent lorsqu’ils utilisent une carte de crédit plutôt que de l’argent liquide.
- Aversion au risque variable en fonction du contexte: en bref, les traders ont moins peur du danger de perdre de l’argent s’ils n’ont pas un besoin immédiat des fonds. Les investisseurs auront moins de difficultés à placer en bourse l’argent qu’ils réservent à l’achat d’une résidence secondaire plutôt que l’épargne qu’ils gardent pour l’éducation de leurs enfants.
Il existe aussi des biais qui sont beaucoup plus difficiles à prouver par des études. Le chercheur en neuroscience évoque ainsi un probable biais de genre : « les femmes sont beaucoup plus soigneuses, moins impulsives et ont une aversion au risque plus importante que les hommes« , pense-t-il. Il explique finalement que la « recherche de la récompense immédiate« , le moteur des traders est probablement le plus grand risque.
A la fin de la conférence, Christian Schmidt demande, à l’assistance un peu ironiquement, si nous somme rassurés à propos de la capacité des traders à prendre de bonnes décisions. Une seule main se lève au premier rang, timidement.
David Simantov Lévi