La fin de la mondialisation ou le début d’une nouvelle ?

On l’annonce mourante depuis plusieurs années, pourtant la mondialisation continue d’être le modèle de développement économique de notre époque. Alors, la mondialisation, stop ou encore ? Le sujet était au coeur d’une conférence des Jéco.

Il y a un an, Donald Trump était élu président des Etats-Unis. Son programme économique, isolationniste et protectionniste, a fait craindre le pire. Beaucoup y ont vu une étape supplémentaire dans la fin de la mondialisation, déjà bien entamée après la crise de 2007-2008.

Pourtant, un an plus tard, les flux commerciaux sont revenus à leur niveau pré-crise et les menaces protectionnistes de Trump n’ont pas eu lieu. De quoi remettre en cause l’idée trop rapidement avancée d’une fin de la mondialisation ?

Non, à en croire Flora Bellone, professeure d’économie. Pour elle, il faut simplement changer de référentiel: « A court terme, il n’y a pas de raisons conjoncturelles pour prédire une fin de la mondialisation. Par contre, sur le très long terme, on peut voir une sorte d’ adaptation structurelle, où l’on assiste à la fin d’une ère. Cette mondialisation, sur laquelle on a vécu tout au long du XXe siècle, voire depuis la révolution industrielle, semble irrémédiablement se mourir. »

Inutile donc de s’inquiéter d’une fin de la mondialisation, le marché économique planétaire serait juste en train de revenir à la normale. « Il ne faut pas voir le ralentissement du commerce mondial comme une anomalie, analyse Bruno Cabrillac, directeur général des Etudes et des Relations internationales à la Banque de France. C’est la période précédente qui était illogique historiquement, avec une croissance du commerce international exponentielle et une porosité sans précédent des douanes et des frontières. » Voir les échanges internationaux évoluer à la même vitesse que le PIB mondial serait donc logique, et nullement inquiétant.

Mais pour Flora Bellone, il faut aller plus loin que l’idée de la fin d’une époque dorée. Selon l’universitaire, si la mondialisation, telle que nous la connaissons, est en train de s’éteindre, c’est simplement qu’elle est remplacée par une mondialisation 2.0, celle issue de la révolution du numérique. Le fait de pouvoir désormais échanger et partager des données et du savoir à travers le monde en un simple clic et pour un coût mineur, voire nul, a profondément changé notre monde.

Une mondialisation peut en cacher une autre

« La vraie rupture est structurelle. La chute radicale des coûts de transfert de la connaissance et du savoir-faire ont conduit à l’essor sans précédent des chaînes de production mondiale », explique-t-elle. La mondialisation se fait depuis les années 1990 par la fragmentation des chaînes de valeur des multinationales, qui profitent des opportunités de salaires bas aux quatre coins du monde.

Mais cette nouvelle mondialisation s’avère ironiquement être en défaveur des grands gagnants de l’ancienne. «  Les règles du jeu actuelles sont toujours les mêmes, sourit Flora Bellone. La libre circulation des marchandises et des flux de capitaux, l’immobilité du travail, etc… Pourtant, les règles qui ont fait la gloire des empires du siècle précédent font désormais leurs malheurs. »

Ces règles ont été fixées par les grandes nations de la première mondialisation (France, Royaume-Uni, Etats-Unis), elles les desservent aujourd’hui. Les multiples délocalisations dans les pays émergents affaiblissent les pays développés, ces derniers ne parviennent pas à lutter économiquement face aux bas salaires. Sans compter que les puissances émergentes emploient désormais une main d’œuvre locale, quelque soit l’offre venant d’ailleurs.

« Aujourd’hui, lorsque la France vend des Rafale à l’Inde, ils sont produits par les Indiens, assure Bruno Cabrillac. Cela aurait été impensable il y a encore vingt ans. Même les fleurons technologiques des pays sont produits aujourd’hui chez l’acheteur. »

Jusqu’à quand la mondialisation durera-t-elle ? Pour Flora Bellone, ce modèle 2.0 pourrait bien y mettre un terme. « On peut potentiellement assister à une démondialisation progressive et naturelle, liée au fait que les différences de niveaux de développement entre les pays s’estomperont avec le rééquilibrage progressif des salaires et des connaissances auquel on assiste peu à peu. Quand la main d’oeuvre sera à peu près au même prix partout, les multinationales n’auront plus d’intérêt à produire ailleurs, et chaque pays produira pour lui-même. »

Le début de cette nouvelle mondialisation, plus délocalisée, pourrait donc annoncer sa fin.

Jean-Loup Delmas